Évariste-Vital
Luminais (1821 – 1896) – qui, au passage, porte le même prénom
qu'un de mes héros de la science, Évariste Gallois – était au
moins aussi lumineux que son patronyme. J'ai découvert il y a peu
cet artiste, qu'on m'a présenté comme méconnu, alors que ce
monsieur a été décoré à de très nombreuses reprises, notamment
de la Légion d'honneur (du temps où celle-ci représentait encore
quelque chose...).
La
plupart de ses œuvres sont dispersées au quatre coins de France
et de Navarre : Nantes, Rennes, Quimper, Dunkerque, Carcassonne,
Paris (Orsay), Rouen, Moulins, Sydney (si, si !), avec une plus
forte représentation dans les trois premières ville citées.
Je
me suis intéressé à son œuvre la moins méconnue – Les Énervés
de Jumièges (j'en vois tout de suite qui se disent : « Ah,
oui...les, les quoi ? »), tout en sachant que si vous
allez à la Bourse de Commerce de Paris, vous pourrez admirer son
immense coupole (quelque chose comme 1500m2) représentant l'histoire
du commerce sur tous les continents, peinte en partie par ce Luminais
(qui s'est coltiné l'Amérique). L'histoire des énervés de Jumièges, ou plutôt la légende,
pour faire court, donne ceci :
Vers
le milieu du VII ème siècle, Clovis II entreprend un pèlerinage en
Terre Sainte. Son fils aîné reprend le
royaume, avec l'aide de sa môman, la reine Bathilde (peut-être
Mathilde avec un gros rhube). Le fils prend la mère en grippe (^^)
et décide de fomenter un p'tit complot avec son frère aîné contre
papa/maman cum roi/reine. Cloclo reçoit un fax cum pigeon voyageur
et rentre au bercail mater ses rejetons.
La
punition du papa est temporisée par l'amour de la maman (merci
Sigmund) : plutôt que de les passer à la potence, on va leur
brûler les nerfs des jambes, histoire de leur apprendre les bonnes
manières. D'où le terme « énervé », à prendre
littéralement. D'ailleurs, en aparté, je peux comprendre un terme
comme « dératé ». Dans la Grèce antique, on pensait
que le fameux point de côté survenant en pleine course était causé
par la rate. Avec force décoctions de prêles, ils tentèrent de
dérater les athlètes. La rate nettoie le sang d'une partie de ses
impuretés en stockant temporairement une partie de ces déchets.
Sans cet organe, une personne voit sa quantité d'hématies, aka
globules rouges, augmenter. Les hématies transportent l’oxygène
dans l’organisme. Donc plus il y en a, plus l’oxygénation est
importante. Une personne dératée a donc théoriquement un taux
d’oxygène dans le sang plus élevé, et donc de meilleures
capacités cardiaques, et peut-être sportives, qu'une personne ratée
(la bonne blague). Ergo, courir comme un dératé. Cependant, ne
tentez pas la
splénectomie (ablation de la rate), vous pourriez finir complètement
raté. Ergo, tout ceci restant théorique, ne vous passez pas la rate
au court-bouillon et faites avec le point de côté.
Autant
je ne comprends pas comment un terme comme « énervé » a
pu désigner quelqu'un, dans son usage moderne, d'irrité ou dans un
état d'excitation inhabituel, donc quelqu'un de nerveux, alors qu'a
contrario, le terme désignait quelqu'un ayant subi le supplice de
l'énervation (et pas de l'énervement, celui-là nous le connaissons
tous) et donc d'apathique.
Aparté terminé.
Les
deux frangins, du coup un peu handicapés, demandent à être placés
en monastère (la DDASS n'existait pas encore). Bathilde, qui a
sûrement d'autres chats à fouetter, les balourde à bord d'un
radeau sur la Seine (pas la scène). Blablabla les deux énervés, un
peu écœurés, arrivent à
Jumièges où ils sont reçus comme des papes par un Saint et les
voilà moines. Cloclo et Baba reçoivent un mail de l'Abbaye disant
qu'elle a accueilli les deux rejetons et que le nerf de la guerre,
c'est l'argent et que les temps sont durs. Visite des parents,
pleurs, repentance, dons, blablabla en avant Simone, c'est moi qui
conduit, c'est toi qui klaxonne.
Comme
toutes les légendes, quand l'histoire s'en mêle, on se rend compte
qu'on a été mené en bateau. Clovis II est mort trop jeune pour que
ses fils soient en âge de se rebeller contre lui, autre qu'en lui
balançant leurs jouets en bois à travers la tronche. Il n'a pas non
plus vu la queue de la Terre Sainte.
Reste
qu'en art on se fout de l'histoire, sauf si elle croustille autant,
voire plus, que la légende. Voici donc les quatre versions des
énervés de Jumièges, dont on pourrait parler pendant des heures,
mais comme les images parlent d'elles-mêmes, on ne fera que
remarquer en silence la beauté des gestes.
Première pensée (circa 1880), huile sur toile,
41 x 32 cm,
Musée des beaux-arts de Rouen
Etude pour les énervés de Jumièges ; figure au revers (circa 1880)
Huile sur carton, 36,5 cm x 48,5 cm,
Musée des beaux-arts de Rouen
Les fils de Clovis II (circa 1880),
huile sur toile, dimensions non trouvées,
Nouvelle-Galles du Sud, Sydney.
Les Énervés de Jumièges (après 1880),
huile sur toile, 1,97 m × 1,76 m,
Musée des beaux-arts de Rouen