Sunday, 20 December 2009

Citation de la semaine: thème libre/ Quote of the week: free theme (Merci à Chab, Caramel, Caro et Flore!)


« Mieux vaut voyager plein d'espoir que d'arriver au but... « (proverbe japonais, encore et toujours...)


Les mots que l'on ne dit pas sont les fleurs du silence (proverbe japonais)


Est-ce l'oeuf le père de la poule ou la poule la mère de l'oeuf ? (R. Devos)


"Parler juste, c'est comme chanter juste, c'est un don. Mais ça étonne moins." Jean Piat


"L'ennui fait le fond de la vie, c'est l'ennui qui a inventé les jeux, les distractions, les romans et l'amour." Miguel de Unamuno


"Si tout homme avait la possibilité d'assassiner clandestinement et à distance, l'humanité disparaîtrait en quelques minutes." (Milan Kundera)


"L'essentiel ne l'est pas toujours, mais provisoirement" Iris Murdoch, in Under The Net


Philosopher, c'est apprendre à mourir (Cicéron)


"Avant d'aller te messer, viens faire la grande moucherie !" (ma Grand-Mère, Surcouf du langage!)


"Ever tried. Ever failed. No matter. Try Again. Fail again. Fail better." Samuel Beckett


"Je considère l'amour comme l'unique attitude digne de la vie de l'homme." (Salvador Dali)


Les massifs d'orties servent de cicatrices (Guillevic)


«Je n’ai pas échoué [à fabriquer l'ampoule]. J’ai simplement trouvé 10.000 solutions qui ne fonctionnent pas.» Thomas Edison


Dieu n'est pas à la hauteur. Il n'est même pas dans le bottin. (Tristan Tzara)


Noël célèbre la naissance de Jésus Christ, fils de Dieu, venu sur terre pour effacer les péchés du monde, mais il avait oublé sa gomme. (P. Desproges)

Entre l'homme qui se fait comprendre et celui qui ne le fait pas, il y a un abîme de différence. Le premier sauve sa vie... (Primo Levi)


Gardez-nous la révolte, l'éclair, l'accord illusoire, un rire pour le trophée glissé des mains. Gardez-nous la primevère et le destin (René Char)


« Constant development is the law of life, and a man who always tries to maintain his dogmas in order to appear consistent drives himself into a false position. » (Gandhi)


« I do not fear to be alone, or to be spurned for another or to leave whatever I have to leave. And I am not afraid to make a mistake, even a great mistake, a lifelong mistake, and perhaps as long as eternity too. » (James Joyce, A Portrait of the Artist as a Young Man)

Game of the week: animalistic exquisite corpse (Thanks to Caramel!)


It was raining cats and dogs this morning, but he knew he had to do it. There was no other choice but to go there. Wearing his green wellies and a black mac, Mr. Nice rushed to the overflowing pond with a bucket to rescue his scarlet koi carps. Mr Nice had bees in his bonnet: he knew perfectly well what dwelt near the pond. How to avoid it was another matter. As he approached, he saw a shadow lurking by the nearby tree. He felt like a sitting duck: he had to act and quickly. He ignored the goosebumps riddling his skin and ran for it. He dived and cupped both his hands on the shadow. He had it! He opened his hands and saw an unusual fox, white of coat & red of socks! Mr. Nice was speechless! The fox explained that the carps had switched his colours when he had tried to catch one of the magical carps! Mr. Nice gave the fox a bear hug and took him home. "Something must be done to obviate the injury," he thought. So back home he cut herbs, brewed them and then dried the decoction which turned into a horse pill. The effect was to be known after a whole day. The fox looked as snug as a bug in a rug sitting there on his Chesterfield sofa in front of the fire. So Mr. Nice decided to act. He thought there was more than one way to paint a fox. But it was a horse of another colour. As cool as a cucumber, he proceeded to the pond in the hopes of reasoning with the carps but they were known to be as clever as a cartload of monkeys. Catspaws riddled the surface of the pond under a slight breeze. The carps were huddled together, thick as thieves, nonchalantly gulping air. "Did you or did you not monkey with the fox?" Mr. Nice asked them, in an equally nonchalant manner. They were as meek as lambs: "We didn't do anything," cried they with one voice. "Don't try to pull the wool over my eyes! Confess!" roared Mr Nice. The carps were lying through their teeth. "I cant stand here rabbiting with you all day!" exclaimed Mr. Nice. So he went to buy some truth serum at the local CIA retail store. Back to the pond, the carps were going ape. "No! No! No! Don't do that!" He emptied the whole bottle, smirking. "So now... Trapped as a bird in a cage! Speak the truth or die, no, lie forever!" blurted out Mr. Nice. Who was no longer nice. He was ready to tackle the bull by the horns. The carps, seeing this, surrendered and said: "Yes, we did it!Some of us had a whale of a time tormenting him after years of listening to his arctic tales. But most of us wanted to summon the snow!" And that is the end of the cock and bull story.

Jeu de la semaine: Cadavre exquis au goût de poisson (Merci à Caro!)


Il se sentait comme un poisson dans l'eau, sur cette plage déserte, malgré le récent naufrage du bateau de croisière. Il allait devoir apprendre à vivre sans filet. Cette perspective lui était finalement assez réjouissante. Il vivait de baies sauvages, regardait des couchers de soleil magnifiques sous son abri de fortune, une vieille plaque de tôle à la peinture écaillée. Et cette étendue, de sable et de temps infinis. Un bonheur brut, une égoïste retraite tant convoitée. Que de péchés pour en arriver là ! Naufrage du bateau, tout le monde mort sauf lui...il n'avait plus qu'à buller en attendant les secours qui mettraient des semaines avant d'arriver! Tuer le temps... Écrire... Mais avec sa mémoire de poisson rouge, il ne savait même plus comment on fabriquait du papier à base d'écorce de palmier... Il se prit donc à gratter l'intérieur de l'écorce avec l'arête d'une pierre tranchante, inventant du même coup un nouvel alphabet. Cela lui permettrait peut-être de faire de sa vie de requin de la finance un nouveau conte de fée... Mais il y avait baleine sous gravillon. Parfois comme un ronronnement vibrait dans l'air paradisiaque de l'île. Il devait tirer ça au clair. Comme le vent dans les voiles, il furetait, cherchait à appâter ces idées qui lui trottaient dans la tête. Il avait une bonne ouïe, mais il n'était pas certain que le bourdonnement vienne du "dehors". Assis sur ce banc, face à la mer et à son fils Éole, l'heure du bilan semblait avoir sonné. Une vie à l'horizon se pâmait d'incertitudes. Une certaine mélancolie semblait l'envahir. Rien ne servait de tourner comme dans un bocal mais il ne pouvait s'en empêcher. Il devait agir, et vite. Pourquoi agir d'ailleurs ? Quelques gouttes de raison, un rêve en papillote, un zeste de folie... et un territoire infini de pensée, quel festin! Une idée semblait surnager dans cette soupe: rester. Il n'était pas né pour vivre dans une boîte à sardine en ville. Il avait l'espace, le temps. Il avait enfin le choix, de frayer ou non, au fond de ses pensées. Pas de contraintes et pas d'à priori... un avant-goût de paradis. Soudain, il vit au loin le panache de fumée d'un navire. Il n'allait pas mordre à l'hameçon. Il prit ses jambes à son cou et s'enfuit dans la jungle. Les mailles du filet commençaient à se rompre... et c'était tant mieux! Mais voilà, il allait tout de même falloir survivre. Il devrait se prémunir des navires de passage pour ne pas se faire harponner en plein bonheur, et aussi assurer sa survie. Le tour de l'île il fit et se nourrit en chemin de trois exquises et juteuses papayes. Quelle joie de penser à la tête de merlans frits de ses collègues, ces zombis de la finance s'ils le voyaient à cet instant, la bouche gavée de papaye, le cheveu long et la barbe rêche, ils en seraient médusés! Et sa deuxième femme, cette morue qui ne pensait qu'à la pension alimentaire de son inculte rejeton... il ne put retenir un sourire de contentement... car il n'accosterait plus jamais dans ce port-là. Ni dans aucun autre d'ailleurs... Il se sentait désormais si léger qu'aucun plomb ne pourrait jamais plus lester cette solitude enfin retrouvée.

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes #4


Aujourd'hui, il n'était ni en avance, ni en retard. Il ne fit ni ses ablutions, ni un geste envers celle qui ne partageait pas que sa couche. Il ne vit pas les parures vermillons de l'horizon, ni ce disque rougeoyant qui se dévoilait minute après minute; pourtant, il ne se pressa pas. Il ne prêta aucune attention au vol d'oies sauvages qui coupa un ciel sans nuages. Il ne conduisit ni prudemment, ni imprudemment. Il ne se gara pas à sa place habituelle. Il ne dit mot à ses deux collègues qui ne s'y feraient jamais. Il ne parla point et pourtant il ne fit pas que son travail ce matin-là. Les yeux absents, dans le vague d'un rapport parfois, il ne se déconcentra pas, ni n'arriva à se connecter à ce qu'il faisait.
Aujourd'hui, il ne remarqua pas la demoiselle qui papillonna des paupières en lui tendant son ticket de caisse, n'espérant pas qu'un regard, qu'un sourire, qu'un au-revoir appuyé, reconnaissant. Il ne se dépêcha en rien. Il ne dégusta pas son sandwich bio, ni même sa salade de fruits d'été bio. Il n'arriva pas à satiété. L'eau qu'il but ne le désaltéra pas. Il ne téléphona pas à son amie, ni ne décrocha lorsqu'elle ne put faire autrement que de l'appeler. Il ne resta pas au bureau pour déjeuner.
Aujourd'hui n'était pas un autre jour, n'était pas un jour dans les règles de l'art. Il ne semblait plus y avoir de règles d'ailleurs. Il n'était ni maussade ni enjoué. Il n'avait goût à rien mais ne détestait pas son métier, bien au contraire. Il n'avait pas l'impression qu'aujourd'hui était un jour sans. Il ne s'emporta pas contre Michel qui ne le lui fit pas remarquer, mais ce dernier ne se priva pas d'en toucher deux mots à son martyr de collègue. Rien n'était une bonne ou une mauvaise nouvelle. Rien ne lui était égal. Il n'avait aucune patience mais rien ne l'énervait.
Aujourd'hui, il n'avait pas que la gueule de bois. Il n'y avait pas qu'un vide dans sa poitrine. Il n'y avait pas qu'une attente sourde, souterraine, sournoise. Pas d'autre choix que d'avancer, que de marcher vers demain. La lassitude n'était pas la seule à le malmener et il ne savait que faire de ses deux bras.
Aujourd'hui, il n'était pas prêt à affronter le monde dans cet état-là. Il lui manquait quelque chose, ou bien , il ne se l'avouait pas totalement, il avait quelque chose de trop.

Saturday, 19 December 2009

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes #3

Aujourd'hui, pour changer un peu, il se brossait les dents de la main droite et s'habillait de la gauche...et justement il l'était, gauche. Il avait eu l'idée depuis peu et c'était là un bon entrainement. Peu concluant niveau temps, se dit-il néanmoins, parce qu'il devait souvent s'aider de la droite et, donc, cela ralentissait le brossage. Enfiler pantalon et chemise, ça allait. Les boutons lui donnaient du fil à retordre, et il regrettait sa maigreur et l'obligation de porter une ceinture qu'il mettrait quinze plombes à accrocher s'il ne consentait pas à s'aider de sa main droite. Nom de – encore à la traîne ce matin. Pourquoi ne pas faire comme tout le monde? Pour une simple et bonne raison que la raison n'ignorait pas, mais qu'elle ne pouvait accepter.
Ce n'est pas encore aujourd'hui qu'il sacrifierait au rituel des câlins matinaux; en plus il se souvint qu'Hélène avait un examen blanc en début d'après-midi, donc il lui faudrait toutes ses forces. Il lui laissa un petit mot d'encouragement sur la table de la cuisine, à la va-vite, au dos d'un post-it. Il y avait une ancienne liste de courses au recto. Ses yeux tombèrent machinalement sur les mots en désordre – lui qui adorait les suites de mots, de choses, de nombres – et après les tomates et le produit vaisselle se glissait, en toute fin, un « Test » griffonné lui aussi à la hâte, fébrile. Il s'arrêta net, le papier rose entre les mains. Que voulait dire ce « Test »? Test, test. Pas un test de grossesse quand même? Elle le lui aurait dit. Ils se disaient tout. Enfin – elle lui disait tout. Elle ne pourrait pas lui cacher ça, pas à lui qui lisait dans les gens comme certains lisent des livres ou des étoiles. Il avait une furieuse envie d'aller la réveiller et de la confronter, brandissant le post-it coupable sous son nez, sous ses yeux embués de sommeil. Au saut du lit personne ne peut mentir. Puis il se ravisa: et si ce « Test » n'était en fait rien, s'il se trompait? Il se targuait de connaître la psychologie féminine mieux que beaucoup d'entre elles – ayant le recul nécessaire pour être objectif – mais les relations humaines l'étonnaient parfois du fait de leur caractère imprévisible. Il n'irait donc pas la retrouver, assis sur le bord du lit, le regard accusateur ou pire, inquisiteur.
Il repensa au post-it une bonne partie de la matinée, puis les e-mails, fax, vidéo-conférences successives eurent raison de son attention.
« Michel, des nouvelles de Rexel?
_ Pas encore. J'ai juste eu un message de Daniel me disant que les pontes se réunissaient ce matin.
_ Michel, c'est justement ça que j'appelle des nouvelles. » Il considéra ne pas avoir dit cela sur un ton assez incisif, donc il crut devoir ajouter: « C'est justement à cette satanée réunion qu'ils vont décider de notre sort. » Même si le « notre » ici sonnait comme un « mon » Il avait rarement rencontré quelqu'un d'aussi niais que ce Michel, et jamais dans le monde de la finance. C'était un défaut rédhibitoire, incompatible avec la gestion du patrimoine et de l'économie d'un pays. Il soupira. Il devrait appeler l'agence de recrutement pour trouver quelqu'un d'autre. Ça l'embêtait pour plusieurs raisons, notamment parce qu'il devrait reformer une personne aux arcanes du métier, renégocier, recommencer. Et puis il y avait le côté « virer quelqu'un »: il n'aimait pas ça. Il avait beau faire partie de cette engeance plus communément nommée « requins », il détestait saintement devoir virer du personnel, même pour incompétence. Surtout pour ce motif. Le regard perdu qui dit « je suis mauvais, je ne suis pas à la hauteur »; la moue triste, déçue, qui dit « Je m'en doutais » ; les mains qui se nouent et se dénouent et qui disent, elles, « Et maintenant, je fais quoi? » Affronter tout ça le dérangeait moins lorsque c'était un FG, un « Faute Grave », mais un « Inc »...ça lui fichait le frisson de devoir ressentir cette commisération, cette gêne à devoir mettre quelqu'un sur le carreau. Il n'avait pas cette fibre darwinienne qui caparaçonnait nombre de ses anciens collègues. Il répugnait à sentir la pitié grésiller dans l'extrémité de ses doigts, marteler sa poitrine de battements de cœur sourds, puissants.
« Tu fais quoi ce week-end Jean-Luc?
_ Je vais dans la belle-famille, qui n'a de belle que le nom. Et toi?
_ Pareil! Il se pourrait même qu'on aille faire une balade après le repas, et il est probablement possible d'émettre l'hypothèse selon laquelle nous fassions une partie de belote ou de manille. Les seuls bons points du week-end: la prune dans le fond du café et le corsage de la belle-sœur qui vaut bien qu'on se tape son bourguignon trop cuit!
_ Hahaha! Tu les sors d'où tes blagues, mon Michou? »
Oui, c'est clair, d'où les sort-il ses blagues vaseuses? Un vrai beauceron. Les deux d'ailleurs, pas un pour racheter l'autre. Ces « pays-âneries » lui tapaient sur le système. Hahaha! « Pays-âneries »! Elle était bonne celle-là! Ils se retrouvèrent donc à rire tous les trois, pas pour les mêmes raisons certes, mais Michel crut qu'il avait, grâce à ce petit trait d'humour – le même depuis toujours – effacé sa bourde avec le fax de Rexel, les compteurs remis à zéro. Il rit de plus belle, en plissant les yeux et en se tapant la main sur le genou.
Le téléphone sonna. « C'est Rexel, » annonça-t-il. Plus de rire. Michel ne se demanda pas comment on pouvait passer aussi vite d'une gorge déployée à rire à cette gorge nouée et sèche, mais il sentit bien le changement physiologique. « Oui, M. Petersen, c'est moi-même. Bien, et vous-même? Pas du tout. Oui, oui. Cela va sans dire. D'accord! Bien. » Il regarda ses collègues en levant le pouce bien haut et en souriant de toutes ses dents, collègues qu'il méprisait encore, mais il fallait bien partager ça avec quelqu'un. Ce soir, il ne resterait plus rien du post-it. Une petite bribe s'était pourtant nichée toute la journée dans une anfractuosité de sa tête, pour finalement disparaître sous l'éboulis. Un chercheur d'or n'aurait pas négligé un aussi maigre filon, lui si.

Friday, 18 December 2009

Haïku


Une plume d'oie dans l'air grésillant de l'été.
Bruits de cigales, odeurs de romarin, jaune de bruyère.
Demain, malgré cela, le capitole brûlera.

Thursday, 17 December 2009

L'ennui


Il y a des petits tas de poussières disséminés ça et là – pour le néophyte à même le hasard – pour l'expert à des endroits stratégiques – qui devraient lui mettre la puce à l'oreille. Au lieu de cela, il marche dessus, les piétine, donne du pied dedans. Il passe le balai lorsqu'il y en a trop. Il y a aussi des craquements, mais dans les vieilles maisons, cela est normal, attendu, presque volontaire.
Et toujours il admire les poutres, les murs, puis retourne à son ennui quotidien, à ses soupirs journaliers. Le creux dans son canapé. Sa sempiternelle routine.
Et toujours il fait ce qu'il doit faire, ce qu'il dit de faire, ce qu'on lui demande de faire. Jamais ce qu'il rêve de faire, c'est impossible.
Et toujours il soupire, ramasse, ne ramasse pas, les petits tas de poussière.
Et toujours les jours longs comme des jours sans pain, où les heures passent comme des jours, où la petite aiguille semble figée, stoppée net par une main facétieuse ou rébarbative, hors du temps. Même les gouttelettes de pluie glissent lentement, quasiment sans fin, sur le carreau. Comme si, animées du désir d'éveiller le désir, elles se faisaient attendre, s'arrêtant même, s'accolant les unes aux autres, défiant la gravité comme en suspension dans l'air, pour ne continuer leur chemin que quelques instants plus tard. Pour recommencer cette rengaine, encore et encore. Et, sur la fin, pour se précipiter vers le bord en bois et y disparaître, se cacher une fois leur méfait commis – le méfait consistant à faire perdre du temps au contemplateur par un hypnotique dédale.
Et toujours le bras se fait lourd, la paupière aussi, puis la tête dont le front vient à se reposer sur la fenêtre. Le bâillement se fait plus fréquent, plus intense, invite à la méditation post-prandiale, au repos, deux ou trois par jour.
Et toujours les petits tas s'accumulent; et la nuit la veille ou le jour le sommeil n'aident en rien à ouvrir les yeux, à écouter le bruissement régulier de la vie – et les craquements qui résonnent comme de sinistres cloches d'église.
Et un jour l'ennui, non content d'avoir happé ce pauvre hère, se saisit même des poutres, même des murs, grignotés comme par des termites à l'appétit gargantuesque, et abat de ses griffes acérées et puissantes – avec cette qualité quasi magnétique – l'édifice, construit pourtant avec patience, sur la tête du malheureux dormeur qui, du coup, du jour au lendemain, en vient à mourir d'ennui.

Tuesday, 15 December 2009

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes #2


Une de plus. Une journée de plus et pas une bière en vue. Pas même une mise en bière. Michel avait réussi, Dieu sait comment, à faire parvenir l'avenant au contrat. Pas par fax en tout cas. Il se demandait s'il ne donnerait pas une formation flash à son collègue sur les arcanes de cette machine du diable.
Il n'y avait plus qu'à attendre un retour de Rexel. Le premier gros contrat. Il avait encore des billes de côté, ainsi que quelques cartouches au cas où, mais ce serait vraiment une bonne opportunité pour booster la boîte. Ils avaient bossé around the clock pour joindre les deux bouts en un temps record, ça devait compter pour quelque chose, ou quelqu'un. Il drivait son équipe comme un boss. On ne pourrait pas lui faire ce reproche-là.
Il était presque neuf heures. Plus un chat sur la rocade. Il espérait qu'Hélène avait fait à manger. Il n'avait envie que de cela: arriver, les pieds sous la table, se sustenter, prendre une douche, regarder à la télé un programme qu'il savait sans cervelle mais c'est tout ce qu'il recherchait. Rire un bon coup à une blague grasse, à une tarte à la crème bien lancée. Dormir. Et recommencer le lendemain.
Toujours le volant coincé par le genou, il arrivait même à doubler les rares voitures qui trainaillaient sur la file de droite. Ces bouseux, alors, toujours à conduire à deux à l'heure, comme s'ils avaient un tracteur dans les mains. Une petite voix lui rappela qu'il avait appris à conduire sur un tracteur, les mains calleuses de son grand-père guidant les siennes, le sillon du champ pour seul guide, le bout du champ pour seul horizon. Sauf que lui s'était affranchi de la boue qui crottait ses galoches, de ces cals qui râpaient les poignées de main viriles, de cette mauvaise haleine de mauvaise bière ou de ces dents tachées de villageoise. Il était devenu un golden boy à la seule force de sa volonté et amassait des fortunes, alors que ses grands-parents avaient amassé de quoi survivre à la force éreintante du poignet, alors que ses parents vivotaient derrière un bureau dans une officine de cambrousse poussiéreuse.
Il n'y était pas retourné depuis qu'il avait amené sa petite amie, voilà presque deux ans – elle avait insisté des jours entiers, à en devenir rasoir à la fin – il se souvint y être allé dans son coupé-cabriolet BM flambant neuf qui lui avait coûté, comme on disait dans le jargon, an arm and a leg. Tout le monde avait admiré l'engin, campés les bras croisés sur la bedaine, hommes et femmes confondus. Ils avaient mangé une blanquette de veau, comme des arsouilles, et il avait honte, nom de Dieu, ça oui, la rage, la honte cuisante qui lui rougeoyait le visage encore plus que les sales bobines avinées des pochetrons accoudés au bar-tabac-PMU, le visage du tôlier couperosé comme le cul d'un porc. Ça ne lui ressemblait pas, lui qui ne buvait que des grands vins – il s'autorisait la bière parce qu'elle préparait l'ivresse – qui avait une hygiène irréprochable et surtout de grandes valeurs morales et esthétiques. Et – woaw! Belle embardée! Son genou avait glissé de dessous le volant, sûrement à cause d'un nid de poule. Route de merde. Il avait rattrapé le bolide in extremis, juste avant qu'il ne touche la rambarde de sécurité. Il en était quitte pour une belle frayeur. Le cœur battant la chamade et les deux mains tremblantes sur le volant, il s'enfonça dans la nuit, sans un mot.

Saturday, 12 December 2009

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes #1


Il était en retard, vraiment à la bourre. Heureusement qu'il avait pris sa douche hier soir, il avait eu le nez creux. Il n'avait plus qu'à se brosser les dents, ce qu'il était en train de faire. Il allait vite, avec application, la main droite bien au fond de la poche. Il pensait qu'il allait devoir convoquer Michel pour le remettre dans les rails. Il avait quand même bien dépassé les bornes, ce crétin. Le dossier Rexel était leur top priorité et ils ne pouvaient se permettre de le laisser passer, surtout pas avec une bévue de ce calibre-là. Il n'avait pas abandonné son boulot de trader pour se faire emmerder par des cons. Exercer en conseil d'affaires et gestion du patrimoine ne payait pas autant mais c'était plus intéressant, plus diversifié. Plus humain, et c'était aussi son côté le plus gonflant, surtout avec des Michels dans le coin. Merde, il fallait aussi passer à la banque. Il se donna un grand coup de brosse à dents dans les gencives. Il cracha dans le lavabo. Ça faisait un mal de chien. Il se rinça la bouche, vérifia qu'il ne saignait pas. Les ratés étaient encore fréquents, mais il y travaillait d'arrache-pied. « Go, go go, » lui susurra sa petite voix d'ex-trader.
Amoureux ou pas, heureux de vivre ou pas, il se souvenait avoir toujours eu cette haine solide du travail presque crampée au fond de l'estomac, a lui vriller les intestins. S'il avait pu, il aurait été rentier. Ne rien glander de la journée, bouquiner, draguer, voyager. Il se voyait d'ailleurs très bien dans un transat avec un bon polar, sur le bord d'une piscine, une belle blonde à ses côtés en train de passer du monoï sur son corps de déesse, le bruit de l'océan pacifique, à quelques dizaines de mètres de là, berçant leurs oreilles. Cette vision resta agrippée dans son cerveau un certain temps, puis finit par se dissiper pour laisser place au magnifique rond-point de Paris dans la brume, embouteillée comme d'habitude le lundi matin. Il conduisait en calant le volant avec son genou et en passant les vitesses de la main gauche, la main droite agrippée à sa cuisse. Pas pratique mais mieux que rien; il conduisait mieux que la plupart de ces.... Mais bon Dieu, d'où venaient et où allaient tous ces gens? La population chartraine semblait centupler sur les axes routiers, alors qu'un rapide coup d'œil un samedi après-midi dans l'une des rues principales suffisait à se faire une opinion morose de cette ville morose. Pas de quoi fouetter un chat, encore fallait-il le trouver avant que celui-ci ne crève d'ennui.
L'ennui. Plaie indécrottablement humaine. On pouvait passer quinze heures au boulot en avalant un sandwich au-dessus d'un clavier d'ordinateur et ne pas en souffrir. À l'instant même où l'on se disait qu'on aimerait une petite bière entre collègues pour se détendre et parler d'autre chose, on se disait primo: les collègues étaient tous du coin, donc une ouverture d'esprit grande comme une porte de grange et une capacité à prolonger les silences dans les conversations aussi étendue que les champs autour de la capitale beauceronne. Secundo: trouver un endroit où les gens ne vous dévisageaient pas de la tête aux pieds et où on ne servaient pas de la pisse d'âne relevait du parcours du combattant mais il ne désespérait pas de trouver. Et tertio: c'était justement le bon point de son raisonnement, la bouée de sauvetage de cette ville: il n'y avait pas de tertio. Il reconnaissait que son constat était sévère, mais il n'était pas sans appel. Il avait suivi sa petite amie, qui reprenait ses études après un changement brutal de cap, et ils n'étaient installés que depuis six mois. Ils n'avaient pris le temps de visiter que la cathédrale et le vieux Chartres, et de faire deux trois tours dans le centre-ville. Ils avaient donc encore le temps de prendre leurs marques, lui et son amie. D'ailleurs, son téléphone entrait en transe.
« Ouais.
_ C'est moi.
_ Ouais, je sais, j'ai vu. T'as bien dormi?
_ Comme une masse. Je t'ai pas entendu partir.
_ J'étais à la bourre, j'ai pas voulu te réveiller juste pour deux secondes de câlins. Tu as cours today?
_ On a des TD toute la matinée et des CM cet aprèm. Vivement que je le passe ce foutu concours, ça commence à saouler tout le monde.
_ Tiens bon. Vous êtes des winner, vous allez tous y arriver.
_ Ben non, pas tous, juste moi! Combien de fois je t'ai dit qu'il y a un nombre de places limitées!
_ Désolé, j'étais que trader moi. J'ai pas fait d'études.
_ Très drôle. T'es où, là?
_ Le centre névralgique du secteur routier.
_ Au rond-point? Encore? T'es vraiment à la bourre! Heureusement que c'est toi le patron!
_ Très funny. Je sais pas pourquoi j'ai pas loué l'office à côté de l'appart.
_ Trop petit. Tu veux agrandir si ça marche.
_ Sauf que je sais pas si avec des branques comme Michel je vais pouvoir justifier l'investissement. Si on loupe Rexel à cause de lui, je le crucifie. Je le jure.
_ Attends un peu, si ça se trouve ça va se tasser, ton affaire. Bon, faut que j'y aille, poussin. Tu m'appelles à midi?
_ OK coral. Bye.
_ Bye qui?
_ Bye poulette.
_ Bonne journée mon poussin! » S'il détestait quelque chose encore plus que cette ville et sa brume et sa population rustre, c'était bien ces foutus surnoms. Elle en poulette couvant, et pas que du regard, son petit poussin. Il était plus vieux qu'elle de deux ans et elle ne le prenait pas au sérieux. Jamais. Pas même quand il lui avait dit être devenu trader à 23 ans ou qu'il gagnait les mauvais mois 4000 euros net et sans les bonus, pas même quand il lui avait dit monter sa boîte à Chartres pour pouvoir la suivre. En deux mois, après avoir tiré les anciennes ficelles, il avait trouvé des locaux pas trop pourris et en avant Simone! Même là elle ne l'avait pas pris au sérieux. Un carnet d'adresses épais comme un bottin en poche, la boutique n'avait pas tardé à ronronner et il s'était vite retrouvé débordé, obligé de trouver deux collaborateurs dans l'urgence. Michel et Jean-Luc, deux briscards sur le retour, qui avaient travaillé dans le secteur bancaire et des RH, mais qui avaient perdu un peu la main. Oui, s'il perdait le dossier Rexel parce que ce con de Michel n'avait pas su faire fonctionner le fax, il le crucifierait.

Sunday, 6 December 2009

CItation de la semaine / Quote of the week: * les gens * * people *




Un gentleman est un monsieur qui sait jouer de la cornemuse mais qui s'en abstient (Woody Allen)



C'est ce que je fais qui m'apprend ce que je cherche (Soulages)


"On reproche aux gens de parler d'eux-mêmes, c'est pourtant le sujet qu'ils traitent le mieux". (Anatole France)


"Most people are other people. Their thoughts are someone elses' opinions, their lives a mimicry, their passions a quotation." (O. Wilde)

Scattering of flower

  Strewn about the vase the petals a vestige of a gone beauty randomly, perhaps Gathering the withered soft and dead dryness the mind but wa...