Monday 9 February 2009

Opus #23

30 décembre, le matin.
(Petit) Article intéressant. Paru dans le Canard de ce matin. Ce cher et tendre journaliste qui manifeste son plus vif intérêt pour mon travail, et ce depuis le début, se demande si je ne fais pas partie des petites gens, « ceux que l'on ne voit pas, ceux qui ramassent les ordures, qui nettoient les cages d'escaliers ou les vitres, ceux qui balayent les rues, qui déchargent les camions le matin. Ceux qui servent au restaurant. Pourquoi n'en serait-il pas, étant donné qu'il reste invisible? Je suis donc allé interviewer le commissaire en charge de l'enquête. Celle-ci piétine depuis plusieurs semaines. M. le commissaire tourne comme un lion en cage. J'ai donc exposé mon point de vue, qu'il a écouté sans sourciller. « Personne ne cherche à créer de psychoses ou de mouvements de panique voire de lynchage de telle ou telle profession, mais c'est bien ce qu'il ressort d'une étude des meilleurs profilers de la police. L'individu ferait bien partie de ce que vous appelez les petites gens. Il commettrait tous ces meurtres dans le but de se venger de la société qui l'a humilié.» Dans le texte. Si tout un chacun peut se permettre d'émettre des hypothèses vérifiables par les meilleurs profilers de la police, alors chacun peut-il se faire commissaire et mener sa propre enquête, voire même arrêter le meurtrier soi-même? À bon entendeur... »
Mis à part cet article, rien de bien folichon dans la presse. Ce matin je me suis levé de bonne humeur, il ne serait donc pas impossible que j'aille m'offrir un petit amusement.

30 décembre, début de soirée.
Rien ne va plus. Tout allait bien jusqu'à ce que le hasard se mêle de ce qui ne le regardait pas. Je revenais par un train de banlieue, je savais déjà que quelque chose clochait lorsque je suis monté dans la rame. J'étais tombé presque littéralement sur un jeune lycéen qui devait faire l'école buissonnière. Je lui ai proposé une barrette de shit, mais je ne voulais pas conclure la transaction en pleine rue. Il a accepté de me suivre dans une ruelle derrière un commerce de proximité. Une petite dizaine de minutes plus tard je ressortais avec un bon kilo de chair fraîche dans un sac isotherme. À l'ancienne, sauf que je n'ai rien consommé sur place. Je suis allé dans un troquet me laver les mains, prendre un ballon de rouge pour ne pas attirer l'attention. Rien ne présageait de la suite. Le voyage s'est déroulé sans encombre, quelques regards de badauds, de petites gens inoffensives qui devaient avoir lu le Canard. Des petites vieilles pour la plupart. Deux types en costume gris. Un petit jeune avec un blouson en cuir et les cheveux en brosse. Un pseudo loubard. C'est sur le quai que les choses ont commencé à tourner au vinaigre. Je descendais au milieu de la foule lorsqu'une main a agrippé mon sac isotherme. Je me suis débattu avec force, mais la main restait accrochée au sac. La foule s'est alors fendue en deux et j'ai vu le petit malin au blouson en cuir. La crispation de son visage a laissé place à l'incrédulité. La surprise aidant, j'ai pu saisir son poignet pour le lui tordre. Il m'a donné un violent coup de pied dans le tibia. J'ai lâché. Il est parti en courant, bousculant plusieurs personnes au passage. Petit con. Un contrôleur est apparu de je ne sais où me demandant si j'allais bien, si rien n'avait été volé. Je lui ai répondu que non. Il m'a demandé si je voulais porter plainte. Je lui ai dit que ça n'en valait pas la peine, qu'il n'y avait là que mes emplettes du marché. C'est à ce moment précis qu'une autre main a agrippé mon épaule, me forçant à me retourner. C'était Cécile. Sans le savoir mais en me doutant, j'avais pris le train qu'elle utilisait, sauf que ce matin je suis revenu de plus loin. Ces foutus pavillons, tous les mêmes, pas moyen de les reconnaître. Je prenais toujours quatre bus différents pour m'assurer de ne pas être suivi, mais au retour je prenais le chemin le plus direct. Toujours est-il que Cécile se tenait devant moi, l'air inquiet. « Tu n'es pas au travail? » La question cingle, le ton encore plus. « Non. » Le contrôleur reste planté là comme un abruti. Je sens qu'il nous observe. « Je ne me sentais pas bien ce matin, j'ai pris ma journée. » « Qu'est-ce qu'il s'est passé? » « Rien de bien grave. Un petit malin a essayé de ma prendre mon sac comme à une petite vieille. » « Il t'a blessé? » « Peut-être un bleu au tibia mais sans plus. » Pourquoi ce connard de contrôleur est encore là? J'ai l'impression qu'il jubile à l'idée d'assister à une scène de ménage. Quelques personnes semblent avoir la même idée en tête. J'entends des murmures. « Tu n'as pas de compte à me rendre, mais tu aurais pu me dire que tu ne travaillais pas. » « Je te rappelle que je n'ai pas le téléphone. » « Tu aurais au moins pu passer me voir. » « C'est vrai mais – on ne pourrait pas aller ailleurs, je ne tiens pas à ce que les gens nous voient nous expliquer. Cela ne les concerne pas. » Nous nous sommes dirigés à l'extérieur, puis dans un café. Elle m'a laissé commander deux cafés. Nous nous sommes assis à une table en retrait. Elle se taisait. J'ai donc entamé les hostilités. « Je sais que tu es en colère après moi, mais nous ne sommes pas mariés et ce n'est pas comme si nous avions quelques années de vie commune derrière nous. Nous avons chacun notre vie et la question ne s'est même pas posée jusqu'à maintenant de savoir s'il fallait ou non partager nos vies. » « Ça je le sais bien. » « Eh bien alors, qu'est-ce qui cloche? » « Je ne sais pas. Juste que je ne te connaissais pas il y a une semaine et qu'à présent je te croise partout. » « Partout...tu n'exagères pas un peu? D'ailleurs, tu ne devrais pas être à l'université? Tu vois? Je n'en fais pas tout un cinéma. » « C'est pas pareil... » Et a commencé dès lors le pire interrogatoire que j'ai eu à subir. Elle reprenait tout à zéro, voulait tout savoir. J'essayais d'être précis pour la satisfaire sans pour autant me compromettre. Les pains de glace dans mon sac commençaient à décongeler. La viande ne tiendrait pas très longtemps, même avec le froid ambiant. La chair humaine est comme cela, il ne faut pas tarder. Je ne sais si elle se doutait de quoi que ce soit. Toujours est-il que nous sommes ressortis du café main dans la main. Nous retournions chez elle. Elle ne s'est aperçue de rien alors que je me débarrassais du sac dans une poubelle de son quartier. Il faudra d'ailleurs que je me renseigne sur les jours de passage des éboueurs. Je viens tout juste de rentrer. J'ai un mauvais pressentiment.

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