Thursday 21 January 2010

The Time Traveller - pour ceux qui l'auraient loupé lors de son passage au Cercle des Associés

« Wolfgang Amadeus Mozart?
_ Ya?
_ Ich bin französisch und mein Name ist Jacques Trusquin.
_ Ya?
_ Und...äh...
_ Was wünschen Sie? »


Ici, nous allons imaginer que l'entretien qui va suivre se déroule en allemand, avec un léger accent bavarois.


« Je sais que vous n'allez pas me croire, mais je viens du futur. Nous avons trouvé le moyen de nous déplacer entre les dimensions spatio-temporelles.
_ Oui.
_ Vous imaginez? Du futur!
_ C'est bon, je ne suis pas sourd. Vous venez pour quoi au juste, je suis un peu pressé. »


Jacques Trusquin a la mine déconfite. Une fois n'est pas coutume, les gens ne sont pas impressionnés par son entrée en matière. Il n'arrête pas de la changer depuis que Léonard lui a éclaté de rire au nez. Léonard quoi! Grosse déception. Bref. Il recommencera, une fois n'est pas coutume, avec le prochain. car Jacques Trusquin, en plus de ses grandes qualités de linguiste et de sa mémoire éidétique, est patient.


« Je suis envoyé du futur pour délivrer des messages importants à certaines personnes influentes dans notre monde. Je suis donc venu vous dire que pratiquement tous les chefs-d'œuvres que vous avez écrit ou allez écrire – on est en combien là, exactement?
_ Nous venons de fêter la nouvelle année 1791.
_ Ah...je...vous...bref. Euh...humhum. Profitez-en bien! Il vous reste une grande œuvre à faire, si ce n'est LA plus grande.
_ Je sais.
_ Ah bon. On va gagner du temps comme ça.
_ Vous dîtes que vous venez du futur, c'est ça?
_ Oui, c'est ça! Alors en fait -
_ Et je suis très connu? »


Purée! Tous les mêmes! Alors voilà: le gouvernement français prend le pari sur vingt ans – vingt ans – et investit des sommes pharaoniques dans le plus grand secret – des milliards d'euros – pour développer la théorie des supercordes et la mettre en application dans un puits gravitationnel multi-complexe, le tout bombardé avec force canon à électrons et antigravité, pour emprunter un trou de ver de Lorentz, et ce en faisant le plus grand pied de nez au deuxième principe de thermodynamique, et tout ce qu'on trouve à dire ou à savoir c'est « est-ce que je vais être connu? » [W.A. Mozart, 1791], « est-ce que je vais enfin mettre la main sur Spitaménès » [Alexandre le grand, -328] ou « est-ce que je vais gagner le prix Nobel de truc? » [H.A. Lorentz, 1901], « quand est-ce que je vais mourir? » [e.g. tant la liste est longue, George Washington, 1789] ou encore « est-ce que je vais enfin me marier? » [Richard Cœur de lion, 1190] et patati et patata. Ré-vol-tant. Bref. Pas de mal à lui concéder ça, tout du moins.


« Oui, pour être connu, vous allez l'être, beaucoup plus que maintenant.
_ Bonne chose, ça.
_ Donc vos œuvres seront dénaturées par la main de l'homme qui les utilisera pour des publicités pour des shampooings, des pâtes ou des voitures, et vous trouvez ça bien?
_ Hein?
_ Imaginez que vous voulez acheter un carrosse. Celui qui veut en faire la promotion, pour attirer des acheteurs, vous présente le modèle avec votre musique.
_ C'est bon, ça! Si le carrosse est beau...
_ Mouais. À vrai dire, je ne sais pas si je suis vraiment surpris par votre réaction.
_ En même temps, vous me disiez que vous aviez des messages importants à délivrer. Je ne trouve pas que cela justifie un voyage dans le temps. Vous vous attendiez à quoi? À ce que j'arrête de composer?
_ Bonne question. Je ne sais pas. Je ne sais pas pourquoi je délivre ces messages-là. Je respecte le protocole en cas d'extrême urgence, voilà tout. En plus, ça me fait passer le temps sans changer la concaténation des événements.
_ Je vous demande pardon?
_ Le cours des choses, si vous préférez. La marche « naturelle » de l'Histoire. Disons que l'histoire suit un chemin, comme une rivière suit son lit. Vous détournez le lit mais l'histoire coule toujours. C'est simple en théorie. D'ailleurs, la théorie est toujours simple, juste avant de rencontrer la pratique. Disons que ça a capoté à partir du Premier Changement ordonné par la Mission pour le Rétablissement de la Paix et de la Démocratie pour les Peuples. Ma mission était d'empêcher l'assassinat de François Ferdinand, archiduc d'Autriche.
_ Et vous avez échoué?
_ Ben non, le problème est que j'ai réussi! D'après mes calculs et grâce à l'aide de Léonard de Vinci, j'ai pu conclure à l'éradication de mon présent – de votre futur, en gros. J'espère que nous nous sommes trompés.
_ C'est gênant.
_ Le pire, c'est que nous sommes plusieurs sur la ligne. J'ai rencontré un type, le gros malin, qui m'a enguirlandé comme du poisson pourri parce que j'allais fausser toutes les données du flux temporel.
_ Son nom?
_ Merlin. Il m'a même dit qu'il y avait beaucoup de monde ces temps-ci qui s'amusaient à aller et venir.
_ Mais comment cela est-il possible?
_ C'est très compliqué à expliquer et sans vouloir vous froisser, même Léonard n'y a rien compris. Je vous laisse imaginer la galère avec Galilée. Bref. Une histoire de thermodynamique et de MC². AH! Si seulement je pouvais communiquer avec la base! Pffffff. Tout ça pour se dire que le multivers n'existe pas. C'est vraiment pas de bol. On planche là-dessus pendant des plombes, on spécule, on schématise, on prophétise et qui se retrouve le bec dans l'eau entre les dimensions? C'est Bibi! Non mais ya de quoi devenir chèvre! Oh et puis vous, là, retournez sonner vos sonates au clair de lune. Ah non, merde, c'est Debussy ça.
_ On se calme, jeune homme. On se calme. Vous voulez une verveine? Ça va vous apaiser. Constanze! Une verveine pour le monsieur du futur! »


Quatre ans, selon ses calculs. Quatre ans à bourlinguer entre ici et là et là-bas et jadis et naguère. Comment garder son calme? Il ne trouvait pas de solution à son problème, et à chaque fois qu'il essayait de se mettre en quête de quelqu'un qui pourrait peut-être le sortir du pétrin, il devait repartir. Mozart le regardait, l'œil malicieux. Pas un mauvais bougre. La plupart du temps, les hommes ne ressemblaient pas à leurs représentations graphiques, ou même à l'image qu'on se faisait d'eux. Dans certains cas, si.


« Vous êtes bien aimable, monsieur Mozart. Vous savez, je suis sous pression. Je n'arrive pas rentrer, je ne sais même pas si je peux rentrer...il ne me reste qu'à attendre à chaque fois que cette stupide montre sonne pour m'annoncer mon départ vers une autre dimension, un autre espace-temps.
_ Et ça arrive souvent?
_ M'en parlez pas! Tous les deux jours environ, parfois plus. L'avantage, c'est que je sais quand j'irai la prochaine fois. Quand et où.
_ Et où cela se trouve-t-il?
_ La France! Je rentre au bercail, même si c'est en 1880. C'est pas comme si y'avait pas de monde à voir, hein? L'avant-dernier voyage, je me suis retrouvé en Mésopotamie en moins 4000 et des brouettes avant Jésus. Autant dire que c'était pas la fête au village. Le truc, c'est que tous les paradoxes temporels tombent comme des mouches et que je n'ai pas encore eu la chance de divulguer quoi que ce soit à mon gouvernement! La date la plus avancée à laquelle je suis retourné est 1982.
_ Et ça n'avait pas commencé?
_ Loin de là. Le projet MRPDP a vu le jour le 8 mai 2048. Mais même en 1982 je n'aurai rien pu dire, j'étais coincé en Ouzbékistan. Pas étonnant que j'en aie perdu mon flegme et mon français. Bon, ben je vous laisse. Je dois essayer d'aller voir Victor Hugo pour lui dire que la prison qui portait son nom a fermé avant que je parte.
_ J'hésite à vous dire bon voyage.
_ Ça ne mange pas de pain. Bon courage à vous, pour la dernière.
_ Vous n'auriez pas l'occasion par hasard de me donner un petit coup de main? Mmh? Sans forcer le destin, non, rien de tout cela. Juste les premières notes?
_ Tous les mêmes. Une fois que vous vous mettez à réfléchir, personne ne peut vous arrêter. Bon. Je vais pas faire grand mal. Ça ressemble à un truc du genre: « Taaaaa dadaaaaaaa, tadadadadaaadaaaaaaa »
_ En fait, oubliez. C'est mieux comme ça, non? Je ne prendrai aucun plaisir à ne pas trouver tout seul, n'est-ce pas?
_ Mouais. Bref. Vous imaginez sans peine que nous n'avons jamais eu cette conversation, je n'ai jamais existé. Le futur ne doit pas entendre parler de moiBIIIIIIP.
_ Vous n'êtes déjà plus là. Monsieur Trusquin? Monsieur Trusquin? »

Sunday 17 January 2010

Citations de la semaine: Montagne / Quotes of the week: Mountain


« A mes montagnes, reconnaissant, infiniment, pour le bien-être intérieur que ma jeunesse à retiré de leur sévère école. » (Walter Bonatti)


"Fermée comme un volet de buis, Une extrême chance compacte, Est notre chaîne de montagnes, notre comprimante splendeur." (René Char)




"Climb if you will but remember that courage and strength are nought without prudence, and that a momentary negligence may destroy the happiness of a lifetime. Do nothing in haste; look well to each step; and from the beginning think what may be at the end." Edward Whymper




« Qui veut gravir une montagne commence par le bas. » (proverbe chinois)


« Après avoir essuyé cette avalanche de questions, je finis par déchausser, la piste étant par trop abrupte ! » (proverbe dominical et carolingien !)




« Les montagnes, toujours, on fait la guerre aux plaines » (Victor Hugo)


« Le seul zen que tu trouves au sommet des montagnes est celui que tu y portes. » R. M. Pirsig. Traité du zen et de l'entretien des motocyclettes.


"Quand tu es arrivé au sommet de la montagne, continue de grimper". Proverbe chinois




« Un homme sans défauts est une montagne sans crevasses. Il ne m'intéresse pas. » (René Char)




« Si la vie était éternelle nous n'aurions plus de raison de vivre. » (Simon, un grand philosophe de ma descendance)


« Dieu a tout fait à partir de rien. Mais le rien perce. » Paul Valery


"You don’t have to be a fantastic hero to do certain things – to compete. You can be just an ordinary chap, sufficiently motivated." Edmund Hillary

Définition d'Angusticlave!


Donnez votre propre définition du mot "angusticlave"! Soyez originaux, inventifs, truculents! Un dernier truc: ne regardez pas la vraie définition, c'est plus drôle.


Caro n.m. Chant mélancolique que les esclaves réservaient aux jours de deuil. Ils convoquaient les esprits et les âmes défuntes.


Anne-sophie n.m. Plat fumant et convivial. Se déguste à huis clos.


Caro n.m. Lieu secret auquel le commun des mortels ne peut accéder. Les anges s'y réunissent entre deux missions divines.

Angusticlave: Ornement que les chevaliers, les magistrats plébéiens inférieurs et les fils de sénateurs ajoutaient à leur tunique et qui consistait en deux bandes étroites de pourpre descendant parallèlement depuis les épaules jusqu'au bas de la tunique.

A Question of Haptics

A Question of Haptics                                                         

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes - Histoire entière au format PDF

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes                                                         

Friday 15 January 2010

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes #24


« Et ton handicapé que tu aidais? C'en est où, cette histoire?
_ J'ai laissé tomber. Son ex est venue me voir, un jour où elle savait que je serai seule, pour me dire qu'il était complètement givré.
_ Pourtant tu me disais qu'il était sympa au fond.
_ Au fond, oui. Mais bon, on va pas épiloguer. Quelqu'un qui ne te met pas dans son lit alors que tu lui balances des signaux qu'un cargo verrait en plein brouillard, il y a de quoi se poser des questions. Je ne sais pas ce qui s'est passé pour que ça ne se passe pas. Vraiment. Je ne suis pas laide pourtant!
_ Tu rigoles? T'es canon, mon chou. Tu es belle, intelligente, tu as de l'or dans les mains.
_ Je n'sais pas. Mes attentes ont toujours dépassé mes capacités. Je n'aurai jamais pu devenir médecin. Je n'aurai pas pu coucher avec lui, même si je le voulais vraiment. Je vais commencer ce nouveau boulot et tu vois, je sais que je vais y arriver, mais j'ai peur que ça me barbe au bout d'un moment. Quand je vois que j'y arrive, ça ne m'intéresse plus. Quand je vois que je ne suis pas faite pour ça, j'abandonne.
_ Attends de voir. Il faut toujours laisser une place à l'inconnue dans l'équation. Si ça se trouve, ton bonhomme, il va regretter et changer radicalement. Même les cons changent.
_ Tu sais, ça ne me fait pas grand chose de ne plus le voir. Peut-être un peu triste pour lui, ou déçue, parce qu'il m'avait montré autre chose. Mais à la fin il était devenu irascible, il m'envoyait promener pour un oui ou un non. Il tentait de me rabaisser. Je crois qu'il avait peur que je perce son secret à jour.
_ Quel secret? Tu m'en as rien dit, cachotière!
_ C'est pas grave, tu sais. Il parle en dormant, et les samedis où il faisait sa sieste dans le salon et que je repassais, j'ai pu découvrir des choses intéressantes à son sujet. Je pense qu'il ne voulait plus de son bras, et qu'il a même essayé de se le couper.
_ Non mais faut pas être taré! C'est dégueu! T'as bien fait de te casser...j'y crois pas qu'un cerveau humain puisse devenir aussi fou.
_ Il y a un nom bien compliqué pour cette pathologie...de toute façon, tant qu'il aura décidé de souffrir, personne ne pourra l'aider. Bref. Tout ça, c'est du passé. J'espère surtout un jour rencontrer quelqu'un qui ne soit pas taré, comme tu dis...Au fait, en parlant de taré, comment va Benji?
_ J'ai rouvert l'équation. Je préfère l'inconnu...Mais bon, je vais rester les bras croisés un peu, en attendant ma mut. Je ne sais pas si je me sens à l'aise ici. Je pense migrer vers le sud.
_ Bien. Ça ne peut pas faire de mal de bouger. Tu viendras me voir à Paris? Tu sais, dans la recherche, il n'y a pas que des intellos avec des lunettes rondes.
_ Non merci, pas de rat de laboratoire.
_ La rate te dit bien des choses. Elle trouvera son bonheur, qui sait, dans ce labo infesté de rongeurs. Et d'ailleurs la rate n'est pas en avance pour prendre son train!
_ Tu veux vraiment pas rester avec moi?
_ Mon bail commence aujourd'hui: il ne faut jamais louper ses nouveaux départs. Bisous ma poule. Prends soin de toi.
_ Bisous, amuse-toi bien. Tu vas me manquer.
_ Toi aussi. »

Thursday 14 January 2010

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes #23


« Non, s'il-te-plaît...arrête...
_ Quoi, je te dégoûte?
_ Tu sais bien que c'est pas ça...on n'est plus ensemble et il y a de bonnes raisons à ça.
_ Et ça nous empêche de nous amuser?
_ Je ne te reconnais pas. Tu as tellement changé.
_ J'ai un bras en moins. Tu avais remarqué?
_ S'il-te-plaît...ça me peine beaucoup que tu réagisses comme ça. » Ça y est, elle s'est fermée comme une huître. Tu es content? Et pour une fois je n'ai rien dit. Toi, ta gueule. Comment rattraper le coup?
« Tu n'as donc plus aucun sentiment pour moi? Je suis devenu un étranger?
_ Non! Je t'aime bien et tu le sais. Tu as beaucoup de qualités...mais les défauts que tu as empêchent que nous formions un couple uni. Ça ne marchera pas, quoi que nous fassions.
_ C'est quoi alors, ces défauts qui nous pourrissent l'existence?
_ Je n'ai absolument aucune envie d'avoir cette discussion. Le restaurant était très sympa, se revoir était très sympa. Revoir l'appart aussi. Mais ça s'arrête là. Chacun à sa place. »
Belle ironie. Il a envie de pleurer et de la frapper. Est-ce qu'il pourrait l'étrangler avec une seule main? Bien énervé, oui. Mais il la trouve pitoyable à tenter désespérément de lutter contre son apitoiement. Elle ne veut pas se rabaisser à lui faire plaisir, à s'occuper de lui, à lui montrer les sentiments qu'il est persuadé sentir encore chez elle. Elle a soigneusement évité, tout au long de la soirée, de regarder le vide sous son épaule droite. Elle doit juste s'adapter, oui, c'est ça. Ce n'est pas comme s'il était le même homme. Il faut un temps pour qu'elle s'habitue. Mais elle l'aime, et il ne peut en démordre. Tout pointe en ce sens.
« Et cette aide ménagère, Cécile, comment est-elle?
_ Je n'ai pas envie de parler d'elle. C'est une fouineuse qui fait son boulot correctement et c'est bien là le souci. Je vais quand même essayer de la faire remplacer.
_ Mais pourquoi, si elle est efficace. Tu n'aimes plus les gens efficaces?
_ Rien à voir.
_ Je te connais depuis un moment, et tu ne me feras pas croire qu'il n'y a rien là-dessous. Tu as le béguin pour elle?
_ Ne dis pas n'importe quoi. C'est une aide ménagère. Si ça se trouve, la pauvrette n'a même pas un diplôme en poche. Elle doit faire ça pour arrondir ses fins de mois ou parce qu'elle a un enfant à charge et que le père est parti. Ou peut-être qu'elle a un faible pour les handicapés.
_ Comment peux-tu dire des choses pareilles? Elle qui a l'air si douce.
_ Hein? Qu'est-ce que tu viens de dire?
_ Rien.
_ Si si si, j'ai bien entendu. Elle qui a l'air si douce. Comment tu saurais ça si tu l'avais pas vue? Toi, tu es venue mettre ton nez dans mes affaires, comme c'est fait là.
_ Je m'inquiétais pour toi! Je n'ai pas osé venir après ton accident et je me sentais coupable, alors un jour je suis venue pensant te trouver et, et, et tu n'étais pas là – et Cécile m'a ouvert –
_ Pas la peine de chialer pour me dire ça. Vous êtes bien toutes les mêmes, pas une pour rattraper l'autre. De vrais comploteuses.
_ On a bu un café! Mais arrête de te sentir persécuté! »
Calme-toi. Ne dis rien. Ça veut dire que si elle est venue, elle a encore des sentiments pour toi. Tout n'est pas perdu. Il faut la jouer fine. Laisse couler. Essaie de dire que tu es désolé, que tu as encore des problèmes à accepter la perte de ton bras. Prends ton air de chien battu mais pas trop, tu sais bien faire. Dis-lui qu'il te faut du temps. Que tu comprends qu'il lui faut du temps pour elle aussi. Si avec ça elle mord pas à l'hameçon, tu pourras toujours aller pointer sur Meetic.fr.
« Je suis désolé, Hélène. Tu sais, j'ai encore des problèmes à accepter ce qui m'est arrivé. Il me faut du temps. Il nous faut du temps pour repartir sur des bases plus saines.
_ Mais ce que tu ne comprends pas, c'est qu'on pourra redevenir amis, mais que nous ne retournerons jamais ensemble, jamais. Tu me dégoûtes. Il y a des choses en toi qui ne changeront jamais. Tu ne mérites pas Cécile. Il vaudrait mieux qu'elle parte. »
Même flash dans les pupilles, même bruits de talons et de porte qui claquent. Même impuissance à l'arrêter. Certaines choses ne changent pas, on dirait.

Wednesday 13 January 2010

A Question of Haptics


Having to do it all over again. Time spent and time wasted. We are alone together. Sharing things differently. Different emotions, different sameness of being. Wish we were closer emotionally. We see life through different lenses, through different senses. Full compatibility was never sought, but antipodes can deter. Fulfilment will have to wait, contentment inheriting the house and worn-out furniture and the bright rectangles left by freshly-gone frames on dull wallpapers.
Life is morosely hectic, frantic in its self-absorption and dim autarcy. Life could be slower that I wouldn't mind. Readiness is all, yet again. Ready to what. To jump off the sinking ship like so many proverbial rats? The ship has been taking water, has been drip-dripping, leaking patiently ever since the sails were set awaiting favourable winds.
Blurred reflection and artificial cosiness temper the excitement. A sudden chill caused by something other than the cold air.
Sleep might help soothe the discomfort. It might also bring sombre images triggered by our brains, thus increasing the sharp stabs of pain. Mektoub. But one can't resign oneself totally to an abstract estimate, can one? Accepting the idea of leaving one's fate to Amen rather than Chance pertains either to cowardice or to immorality. Even though no one should blame either. Escapism can take many forms and is the only remaining way out indeed, and the only means of going further. Like a weathervane. Escape, but once again: where?
Interest might be an apter way of putting it. The lesser of a thousand evils. Can one fight one's nature? It is mainly a question of willpower, sheer willpower bent on one purpose fit to make the acroteria of being tremble. The rest of the question must be left to Chance or to Mektoub. Opportunity left out or taken bodily. The idea of it abandoned because of convention or fear of hurting or of having to lie – one, and only one, outcome.
Trust. A gentle gesture of acknowledgement. Must this suffice. Or the hope of finding out oblivion hiding snugly in the dark of the mind, deep down where only sleep reigns. Deep down. Holding up the fort is still in my capacity, for the moment, as food is in store and as long as the morale of the troops doesn't rely on the weather forecast. Wish I knew how to find trust in sleep, other than having to learn the hard way.
Off-hand way of taking care. False impression of well-being? I'm here but I'm not. I am of no importance. Really. Could be Pete or Paul. Sense of security, of having someone by. Of owning happiness, dutifully or not, having something most people don't. Of belonging to the same happy, decorated, post-traumatic, post-orgiastic world. From now on it's everything in its right place.
Could it not be a more decent situation? I wish I weren't so prone to feel and to let myself wrap into feelings. Detached I should be, uncaring about other people, about how they feel. I should cast away the little decency that I have. One day perhaps I shall become that sort of person and believe that we can have fun, play human as if feelings were only some kind of spin-off of too much prefrontal cortical activity at some sweet hour.

Le pompiste



Un an avant la retraite. Tout le monde lui avait dit que c'était le plus long. On attendait ça pendant des lustres et quand on voyait enfin la ligne d'arrivée, c'était ça le pire. S'il avait le courage qui lui avait manqué toute sa vie, il aurait répondu que de toute façon, toutes les années étaient longues.
Longues comme des jours sans pain, tapi au fond de sa boutique, l'hiver, à attendre le client perdu ou en rade. L'été sur sa chaise pliante, sous le auvent, à attendre ce même client dépité, le touriste égaré qui finalement ne fera pas le plein, mais prendra une barre de chocolat pour les enfants qui braillent leur impatience dans la voiture.


Il était pompiste à la station Elan de Bonneval depuis que le monde était monde. Il avait connu les stations services qu'on appelaient jadis essencerie ou station de service. Son père en était alors le patron, et tenait aussi l'atelier de réparation automobile attenant. L'enseigne alors était Castrol – qu'il prononçait casserole – Elan était venu bien plus tard. Son père était une figure dans le coin. Il n'avait malheureusement pas hérité de ses doigts en or ou même de sa notoriété. L'atelier avait périclité sous ses yeux impuissants et le monsieur qui l'avait racheté, et qui le faisait tourner encore aujourd'hui, avait eu la gentillesse – oui, c'est cela, gentillesse, et surtout pas la pitié – de le garder au service du carburant. Il avait connu les pompes à essence qui portait leur juste nom: il fallait pomper comme un shadok. Gamin, il aimait ça par-dessus tout. L'odeur d'essence, les couleurs moirées sur le bitume. Les effluves de cuir neuf des voitures rutilantes. Les larges volants, le noir des carrosseries. Les gens ne s'en faisaient pas, à l'époque.


On était en 1999. Le 17 juin, pour être précis. Tous les matins le même rituel, cocher un jour sur le calendrier. Deux, en l'occurrence, vu qu'on était lundi et que le dimanche il fermait. La saint Hervé. Bonne fête à tous les Hervés, avait dit Poivre d'Arvor au journal de ce midi. Il se passait des trucs dans le monde, en France aussi, un truc avec une infirmière, mais lui s'en fichait pas mal. Il voulait qu'il se passe des trucs ici. Dans sa station service.


« Ben alors, t'en fais une tête d'enterrement, Dédé! Viens donc prendre un ballon!
_ Les gars, vous avez dit que vous viendriez faire le plein à la station et j'ai pas vu le bout de la queue d'un chat! »
Sourires gênés. Il savait qu'ils voulaient bien faire. Mais ils ne venaient pas.
«  Ben Mon Dédé, faut pas le prendre comme ça! Tu sais, tu ferais pas l'essence aussi chère, on se radinerait plus souvent.
_ C'est pas moi qui fait les prix! »
Encore des sourires gênés. On amène le ballon de vin rouge aux lèvres, mais on ne boit pas. Juste pour éviter de parler, de dire quelque chose qui blesse.


Ces quatre énergumènes n'étaient pas des copains d'école. Il n'y était pas allé. Son père avait cru bon de croire en lui quand tout le monde lui avait dit de réfléchir. Qu'il n'était pas fait pour ça ou qu'il n'avait pas ça dans le sang. Ça, ça, qu'est-ce que ça voulait dire? Il avait entendu sa mère, un jour, dire à la voisine: « Que voulez-vous, on peut pas l'empêcher d'aimer son fils. Tous les pères sont comme ça avec leur petit gars, non? » Oui. Mais l'amour de son père lui avait coûté, lui coûtait encore. Il se retrouvait donc à soixante-quatre piges, veuf depuis quatre ans, avec deux garçons qu'il ne voyait plus, à siroter un ballon de rouge tous les midis avec une poignée d'habitués qu'il considérait comme des amis. Peut-être mourrait-il tout seul, dans le dénuement le plus total. Il n'y aurait pas d'héritage à partager. Ah, si. La maison. Ses gosses auraient au moins quelque chose de lui.

En 95, le patron avait ajouté une boutique d'accessoires et de friandises, ainsi qu'une station de gonflage, parce qu'il avait délocalisé l'atelier pour l'agrandir; mais il avait laissé les pompes où elles étaient. « Trop cher pour les bouger, » avait-il décrété. Depuis, il était dans la zone industrielle qui avait poussé autour du bâtiment, seul, avec la concurrence déloyale des supermarchés et même de l'autre station Total à quelques kilomètres de là. Alors qu'Elan était une filiale de Total. Il ne comprenait pas. En même temps, il ne comprenait jamais grand chose, à quoi que ce soit.


« Ah! Ben alors Jacquot, tu t'es perdu?
_ Eh, pas de vannes, tu me pompes l'air! Hahaha! Tu me fais le plein, mon Dédé?
_ C'est parti! »
Jacquot se dit qu'il en faut peu, parfois, pour être heureux. Qu'ils abusaient, parfois, de pas venir plus souvent, ne serait-ce que pour le voir. Qu'il devait parfois s'emmerder sec, coincé ici. Qu'il aurait fallu, parfois, faire plus attention aux signes qui pourtant ne trompaient pas. Surtout depuis le décès d'Alberte. Il le regarda faire le plein de sa voiture et il vit un gosse, le sourire aux lèvres, un gosse de soixante piges et des brouettes. Il aurait pu aller jusqu'à imaginer son pote Dédé en gosse de dix ans et faisant exactement la même chose avec le même entrain, la même bouille ronde, mais il ne fallait pas abuser quand même. Il fallait déjà aller dans la boutique qui puait la poussière et l'huile de moteur, avec les bonbons collés aux parois des boîtes en plein soleil l'été. Peut-être même que les barres de Mars ou de Lion étaient périmées depuis Mathusalem. Il ne lui avait jamais dit, mais l'odeur avait déteint sur ce bon vieux Dédé.


Un an avant la retraite. Encore un an à tirer. Le plus long. « Bon dieu, » se dit alors Dédé devant son calendrier de routier, « qu'est-ce que ça va être. » Encore trois cent soixante-cinq journées longues comme quand on avait rien à faire. Peut-être même qu'il ne l'attendait pas avec autant d'impatience que son patron, comme il l'avait entendu dire à un autre employé. Il passerait donc ces jours à faire des mots croisés, à se tourner les pouces, à regarder les camions et les voitures aller à la déchetterie, à attendre le jour où il ne se lèverait plus pour aller à la station, mais le jour où il ferait quand même la même chose. Jusqu'à la fin.

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes #22


« Tu es bien installé? Tu as besoin d'autre chose?
_ Non, merci, ça va. » Il ne faut pas abuser des bonnes choses. Et pourquoi pas? S'il insiste, profites-en! Bon sang de petite voix. Machiavélique. Tentatrice. Il n'y a pas de mal à se faire du bien. Il le sait, mais elle lui fait faire et dire des choses qu'il n'aurait jamais soupçonnées. Depuis son fameux coup de soleil qui l'a fait dérailler, il a changé. Sa petite voix est devenu envahissante, totalitaire. Mais d'un autre côté il a obtenu, sur ses conseils, tout ce qu'il désire. Tout le monde l'écoute, s'occupe de lui, le traite comme ils auraient toujours dû le faire. Et il aime ça par-dessus tout.
« Tu es sûr?
_ Je voudrais pas abuser, mais tu peux m'apporter mon ordi?
_ Tu veux travailler? Je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Je devrais demander à Cécile ce qu'elle -
_ Au diable Cécile! Je peux bien faire les choses sans qu'elle vienne fourrer son nez partout! » Il ne regarde pas Michel qui doit sûrement avoir une moue réprobatrice plantée au milieu du visage. Tu t'en fous, bien dit. Il sait. Mais il n'aime pas froisser Michel. On peut se défausser d'un atout, mais il faut tout de même conserver une bonne main.
« Je te trouve dur avec elle. Et je te dis ça en ami.
_ Merci du conseil. Ne t'inquiètes pas, je gère.
_ Tu sais pourtant que je l'ouvre pratiquement jamais. Je dis pas ce genre de trucs. Ça me met mal à l'aise...Je peux continuer?
_ Haha! Sacré Michel. Comme si tu avais besoin de moi pour dire ce que tu penses! Mais bien sûr que tu peux continuer.
_ Merci. Tout le monde pensait qu'après le mariage vous...comment dire...vous aviez...enfin...vous étiez ensemble quoi.
_ Pourquoi ça?
_ Ben je sais pas. Tu l'as pas ramenée chez toi?
_ Elle était ivre morte. Et puis ça aurait rien changé.
_ Euh...ah. Bon. Enfin, je trouve que t'es dur avec elle. Elle a fait tout pour que tu te sentes bien ici, surtout depuis ton retour. Elle fait tout comme d'habitude, quand tu étais à l'hosto.
_ C'est bon, on va lui décerner l'oscar de la meilleure aide ménagère.
_ Mais qu'est-ce que t'as contre elle?
_ Mais rien! C'est juste que c'est chacun à sa place. » Et maintenant tu la fermes, mon garçon. Il ne faut pas qu'il pousse mémé dans les orties. Il a dit ce qu'il avait à dire. C'est entendu. Mais il n'y a rien à ajouter, de part et d'autre. Tout de même...elle ne se prend pas pour n'importe qui, cette voix. Jamais il ne parlerait à Michel comme ça. Tu es sûr de toi? Il ne l'écoute pas tout le temps non plus.
« Merci Michel de t'inquiéter. Ça va. Je sais qu'on s'est rapprochés un peu, mais rien de grave ou de concluant. On n'est pas du même monde. D'ailleurs, tu sais que j'ai rendez-vous avec Hélène demain?
_ Oui, tu me l'as déjà dit. Tu es sûr que c'est bien pour toi?
_ On va juste se revoir en amis. Rien de plus. Et puis s'il se passe un truc, eh bien tant mieux!
_ Si tu le prends comme ça, tant mieux oui. Mais fais attention à ménager Cécile un peu. Si tu perds son aide, tu seras bloqué ici, comme avant.
_ Je peux m'affranchir de certaines choses, tu sais. Avec le temps, on développe des stratégies compensatoires. Je peux, avec un peu d'effort, me passer de son aide...» Une dernière fois, il esquive le regard de Michel. Sa moue. Quelle moue d'ailleurs? Il ne veut pas savoir. Surtout pas alors qu'il ajoute, tout bas, murmurant suffisamment pour suggérer à son compagnon que les choses vont changer: « surtout si Hélène revient. »

thirty thousand people

The day was torn and grim birds yet began to sing as if they knew nothing’s eternal and old gives way to new that man, one day, will fall t...