Wednesday, 2 June 2010

Haïku sous la pluie

 
L'eau, tombée en pluie,
se teinte sur le rebord de la céramique -
le thé est bientôt prêt.

Tuesday, 1 June 2010

Histoire dont vous êtes les héros #8


Vous pouvez essayer de vous enfuir. Peut-être y a-t-il assez d'argent dans l'enveloppe pour partir? Qui ne tente rien n'a rien! Fébrile, vous regardez votre montre. Il ne vous reste plus qu'à feindre la nausée – ce qui ne devrait effectivement pas tarder – selon le plan du Boucher slave. Voilà que, bien inconsciemment, vous vous mettez à réfléchir. Vous fouillez dans votre tiroir et en extrayez une enveloppe marron sensiblement de la même taille que la plus grande. Vous vous demandez s'ils savent exactement ce que contenait le coffre, mais vous vous sentez de taille pour les berner. Vous voilà prêt: vous ouvrez l'enveloppe. Une liasse de feuilles A4 avec tout un tas de numéros et de noms. Comme c'est un peu votre métier, vous saisissez tout de suite que ce sont des comptes bancaires en...suisse peut-être, et qu'un sacré paquet d'argent transit dessus. Vous voilà fixé. Au tour de la petite enveloppe à présent. Rien d'autre qu'un petit bout de papier, vraisemblablement arraché d'une nappe comme dans les brasseries l'été, sur lequel figure un nom bizarre, ou un mot, « M ektoub » et un numéro, peut-être de téléphone.
Il reste la clef. Une clef basique. De boîtes aux lettres, peut-être, quoiqu'un peu longue.
Sans l'avoir véritablement décidé, vous vous retrouvez devant la photocopieuse qui avale la liasse et la ressort dupliquée. Vous ne croisez personne alors que vous retournez dans votre bureau, replacez l'original dans la nouvelle enveloppe.
Il ne vous reste plus qu'à savoir où mettre le numéro et la clef. Ni une ni deux, vous glissez le tout – photocopies, clef, morceau de papier – dans une autre enveloppe marron, écrivez l'adresse de vos parents dessus et la mettez sur votre bureau. Elle partira au courrier en fin d'après-midi. C'est à ce moment qu'entre la comptable. Vous ne l'aviez jamais remarqué, mais il y a une sorte de beauté indéfinissable en elle. Ses traits sont fins, elle est élancée mais ses hanches se laissent deviner sous ses vêtements un peu lâches. Elle a de beaux cheveux noirs, fins, ramenés en chignon sur le haut de la tête qu'elle porte droite, bien maintenue sur ses épaules carrées. Un rien strict. Elle vous demande si vous allez bien, vous êtes pâle comme un linge. Vous lui demandez si la secrétaire est là, pour l'avertir que bien que soyez venu, vous ne vous sentez pas bien. Vous allez rentrer chez vous. La comptable se balance sur un pied et son déhanché attire votre regard. La secrétaire est en réunion avec le patron, si vous voulez elle fera passer le message. Même pas besoin de feindre. C'est pas beau ça? Vous la remerciez, et pensez pour vous-même qu'une fois cette histoire de fous furieux terminée, vous l'inviteriez bien à déjeuner, histoire de faire plus ample connaissance. En attendant, vos yeux s'attardent sur ses jambes, ou est-ce plus haut, alors qu'elle quitte votre bureau en vous souhaitant de vous remettre rapidement. Un joli sourire.

Qui contraste nettement avec les visages qui vous scrutent alors que vous montez dans la voiture du Boucher slave, garée au coin de la rue. Il y a trois gorilles à l'arrière de la Volvo. Tous habillés avec de longs manteaux noirs au col relevé. Vous ne pouvez vous empêcher de dire « Salut la Gestapo! » alors que leurs mines pas tibulaires pour deux sous vous font froid dans le dos. Vous vous demandez ce qui peut bien motiver une telle arrogance de votre part.
« Assieds-toi au lieu de dire des conneries. Ton patron se doute de quelque chose? » Visiblement, le Boucher n'est pas là pour discuter le bout de gras.
« Je n'ai vu que la comptable. La secrétaire n'était pas là.
_ Emir! » Le gorille du milieu est visiblement tendu, prêt à en découdre. Il sert ses poings et ses articulations sont blanches, les veines saillantes.
« Mais ils parlent en plus!
_ Ta gueule. Ils sont énervés alors je te conseille de pas les chercher. Tu as tout? L'enveloppe, c'est bien. Et il devait y avoir une clef. Une petite clef. Elle est où ?
_ Une clef ? J'ai rien vu, et j'ai tout bien regardé. » L'autre excité derrière pose une question, rapidement. Il parle comme il doit tirer avec une Kalachnikov, lui. Emir répond « Нет ». S'ensuit une bousculade dans le mètre cube de l'habitacle. Vous sentez l'odeur du cuir prêt de votre visage. Vous ne voyez plus rien. Vous ne vous sentez pas très à l'aise, pour dire le moins. Trop de corps autour de vous, sur vous. C'est pesant, lourd de reproches. Vous sentez même des mains agripper votre cou. C'est alors que dans la confusion des bras et des pieds qui volent un peu partout, vous voyez le poing d'Emir s'abattre au milieu de la masse. Un « Argh » vient mettre un terme au joyeux bordel. Vous voyez de nouveau. Ils vont finir par alerter les passants avec leurs conneries.
« Andreï, Делайте не дерьмо! » L'autre bougre a le nez en sang. Il est plus calme, bizarrement. Il a sorti un étrange mouchoir brodé, ouvragé même. D'un blanc immaculé. Un souvenir du pays, sans aucun doute. Plus trop immaculé maintenant.
« Bon, pas de panique. Tu es certain qu'il y avait pas de clef?
_ Certain. Elle sert à quoi cette clef?
_ A fermer ton cercueil si on met pas la main dessus. Essaie de rien dire pendant deux minutes. » Là-dessus, il descend de voiture, vous laissant avec les joyeux drilles. Et dire que vous pensiez il y a trente secondes que l'ambiance était tendue. Vous espérez, vous agrippant au siège d'une main, l'autre sur la poignée de la porte, qu'Emir ne va pas passer trois heures au téléphone. D'ailleurs, qui peut-il bien appeler? Vous aimeriez bien regarder devant vous, ignorer l'ignorance brutale assise derrière vous, mais il semble qu'un démon bien impertinent ait pris possession de vous. Vous vous retournez, un sourire fendu jusqu'aux oreilles, découvrant vos belles dents qu'un orthodontiste chevronné et d'une patience d'ange a mis plusieurs années à refaçonner pour qu'elles restent toutes dans votre bouche – dents dont vous ne doutez pas perdre le contrôle si vous continuez à titiller vos amis d'un jour. Trois paires d'yeux vous fixent avec autant d'amicalité qu'une roche prête à s'effondrer sur vous. Vous ne savez pas ce qui les retient. Ils semblent se faire la même réflexion. Vous les voyez, comme d'un seul homo brutus castagnus, avancer les épaules vers vous. Ils se remettent dos à la banquette alors que leur chef se remet derrière le volant.
« Je te ramène chez toi. On t'appellera plus tard.
_ Je suis pas libre? Vous m'aviez dit –
_ Tu es vivant, à ce que je sache. Tant qu'on n'a pas la clef, on peut rien faire. Il va falloir que tu retournes au coffre, mais pas aujourd'hui. En plus, on n'en a pas tout à fait fini avec toi. »
Le trajet se fait sans encombres, mais vous vous sentez rougir. Est-ce la chaleur humaine qui ne vous sied pas? Vous avez mal calculé. Vous êtes dans la panade. La clef est en partance pour le Poitou. Alors qu'il vous dépose au pied de votre immeuble, Emir se tourne vers vous:
« Pas de blague, James Bond, si tu appelles la police ou si tu essaies de me jouer un tour, je te ferai regretter ça toute ta vie, longue ou courte. » Vous acquiescez du chef, l'estomac juste derrière vos amygdales que, il n'y a pas si longtemps, vous étiez fier d'avoir conservé.
De retour dans votre appartement où rien n'a bougé – même leur matériel est resté – vous examinez les possibilités qui s'offrent à vous.

Monday, 31 May 2010

Un jour.

Your Personal Day of Death is...Saturday, April 29, 2073

Que ferais-je à cette date?

Je serai à une semaine environ de fêter mon quatre-vingt-quatorzième anniversaire, je serai seul, abandonné de tous à cause de mon sale caractère. Je serai encore plus atrabilaire que je ne le suis, plus têtu, plus sourd. Je me promènerai dans les rues de Chartres en aéro-déambulateur, gueulant après les skyboarders qui pollueront mon espace aérien. Je ronchonnerai avec le contrôleur de métro que y'a plus d'jeunesse, que c'est tous des p'tits cons inconscients qui vous bousculent aux automates pour vous chiper votre fromage déshydraté. Mais faut voir aussi qui les élèvent: leurs parents font chier leur chien partout alors qu'il y a les parcs automatiques. Ce sont les mêmes qui font grève parce qu'ils n'ont pas de boulot. Et puis ils se foutent pas mal de ce que leurs gosses font: pas plus tard qu'hier y'a encore un pirate holographique de dix ans qui s'est fait interner par la milice gouvernementale pour avoir breaké le network du Premier Ministre, c'est un monde quand même ça!
Je continuerai mon petit tour en grommelant, pestant contre le temps qui passe, vociférant parfois pour une raison que j'ignore – peut-être à cause de la grisaille permanente, de la saleté de près de six millions de chartrains – et les petits jeunes place de la Troisième Grande Guerre se foutront de ma pomme, m'insulteront et me jetteront des canettes de Black Smoke Energy Drink vides. L'une d'elles, me touchant à la tête, me fera perdre pied et je choirai, et ni mon cœur ni mes os fatigués n'essaieront de lutter contre la pesanteur. Comme attendant le premier prétexte venu pour passer l'aéro-déambulateur à gauche. Mon corps sans vie n'intéressera pas grand monde, si ce n'est le robot-nettoyeur du quartier. Le jeune fautif ne fuira pas bien loin: identifié par les cyber-caméras grand-angle, il sera arrêté par le commando anti-criminalité et, jugé et condamné dans l'heure qui suit, il sera condamné aux travaux forcés sur Pluton. On ne badine pas avec la loi, surtout lorsqu'on touche aux anciens. Quinze ans à peine après ma retraite, c'est pas de bol, quand même.

Ou alors, toujours à une bonne semaine de mes quatre-vingt-quatorze printemps, je serai en train de danser sur une musique électro-pop-dub-scandalo-épico-raï et je me démettrai le nerf sciatique, ce qui par voie de conséquence avec ce style de danse de haute voltige, et ce malgré mes quatre titres de champion d'Eurasie, causera une perte d'équilibre et ma tête viendra heurter violemment l'angle d'une table fabriquée en République Populaire d'Australie – tous ces pays en voie de dépeuplement ne fabriquent vraiment que de la camelote. Je me viderai de mon sang avant que les secours n'arrivent à s'extirper de l'embouteillage monstre place des Epars, à l'embranchement aérien sud-ouest (d'ailleurs je le déconseille à quiconque, quelle que soit l'heure).

Ou alors je serai quelque part dans une yourte en plein désert du Taklamakan. Et j'y mourrai, heureux d'être là-bas – sans aucun doute l'endroit le plus approprié pour cesser de respirer – heureux d'avoir vécu une vie de bohème, de voyages, de rencontres – ivre de paysage, la tête pleine d'aventures, un livre à la main, repensant à l'ermite philosophe rencontré à Katmandou, aux tranquilles pêcheurs dans le Sichuan, au vieux berger et son Border Collie en Écosse, à cette élève qui avait failli mourir devant mes yeux, à la plage de Maghera dans le Donegal battue par une tempête de sable, à la Costa Brava avec mes amis, à tous ceux dont j'avais croisé la route et qui s'arrêtèrent pour partager un peu, beaucoup, longtemps, quelques instants, mais qui, ne fut-ce que pour l'idée de passer un peu de temps avec un autre être humain, oui, s'arrêtèrent.

Ou alors je mourrai le Saturday, May 7, 2078 d'une overdose d'ennui face à l'écran holographique de la Maison des Doyens. Ici, manifestement, je n'aurai pas dû appuyer une seconde fois sur le bouton - pourquoi n'ai-je pas fermé ce site de merde dans un premier temps? - étant donné que la date a changé – peut-être pour le mieux car je vivrai plus longtemps – ou vu dans l'autre sens: je mettrai plus de temps à mourir. Je clamserai donc un samedi, quoi que je fasse. Enfin une certitude dans ce monde sans repères! Un peu de concret, nom de d'là! Je note également que je n'atteindrai toujours pas le siècle d'existence, à un an et un jour près. Quand on n'a pas de chance, c'est apparemment jusqu'à la fin.
Me voilà donc armé pour affronter l'avenir sereinement – pas pour tenter de m'octroyer, par quelque vil et veule stratagème, une journée ou un laps de temps supplémentaire, je n'oserai pas me mettre à dos ce monstre à la gueule béante qu'est le temps. Car sans connaître l'instant exact de ma mort, encore moins le jour exact, je sais que je dois me méfier des samedis comme de la peste.

Mourir de la peste ou d'une canette de Black Smoke Energy Drink vide, seul ou entouré des miens, solitaire ou solidaire, dans le lieu que j'aurai pu faire mien ou ailleurs dans le monde, loin de chez moi, de vieillesse ou d'un accident dont les autres diront que c'est dommage, un beau gâchis – quoi que le destin ait en stock pour moi, je suis preneur.

Rodolphe

Varennes, France, le lundi 31 mai de l'an de grâce 2010; à 21 heures et 32 minutes heure locale.

Scribd

Voilà, c'est fait: depuis le 25 septembre 2009, plus de 5000 lecteurs/lectrices ont lu mes textes...ou alors c'est un abruti qui a bloqué sa souris dessus. N'importe comment, je les (le?) remercie. Et vous aussi!

Pour la postérité, voici l'adresse

Rodolphe sur Scribd

Saturday, 29 May 2010

Histoire dont vous êtes les héros #7


Vous demanderiez bien ce qu'il entend par « riche » et surtout « libre ». Vous pourriez peut-être même manigancer quelque chose pour filouter les bandits et empocher une partie du magot.
« Qu'est-ce que vous entendez par « riche »? » Son visage s'illumine avec un sourire fendu jusqu'aux oreilles, découvrant une rangée de dents en or flambant neuves.
« Je crois qu'on va s'entendre.
_ On verra ça après que vous ayez enlevé ce scotch sans m'arracher la moitié de la peau et des poils. J'ai mis vingt ans à avoir cette toison. »

Vous voyez bien dans les yeux des hommes qu'ils font attention à ne pas vous faire de mal, mais vous n'êtes pas certain qu'ils n'y prennent pas un certain plaisir. Toujours est-il que c'est les yeux larmoyants que vous vous dirigez vers la salle de bain ôter les derniers restes de collant sur votre peau. L'ambiance est beaucoup plus décontractée, et vous pourriez en profiter pour vous enfuir, pensez-vous en vous-même. Mais quelque chose en vous vibre lorsque vous pensez à ce que vous allez faire dans quelques heures.

Et soudain vous vous voyez comme dans un film.

L'eau ruisselle sur votre corps sur un air de piano triste, et en gros plan les marques de scotch sur votre peau, la chair de poule, le sang qui s'échappe de vos plaies et une flûte orientale résonne pour accompagner vos rictus de douleur. Ces sons s'entremêlent alors que le sang tourbillonne et s'échappe par le siphon de la douche. Une voix de femme, plaintive, vibre, ondule, entonne une longue mélopée. La scène s'éternise, l'eau coule et s'abat à vos pieds et votre sang en sillons le long de vos chevilles, quelques gouttes qui s'attardent ici et là. La musique continue sur un fond noir.
Vous voilà dehors, dans le matin frais. Marchant au ralenti, vos mouvements amples et mesurés. La voiture de vos acolytes vous attend, portière ouverte sur le trottoir. Et le chant de la femme est toujours là, en fil d'Ariane, une voix capable de sceller un destin. Tout comme vous en cet instant où, prenant place aux côtés de l'homme sans cagoule, vous scellez le vôtre. La caméra s'arrête sur le capot de la voiture. L'homme démarre, son visage impassible. Le vôtre en revanche est tendu, inquiet. Il vous tend une flasque. Vous avalez de grandes lampées d'un breuvage qui vous fait grimacer. Vos yeux semblent s'arrêter sur chacun des détails au dehors de l'habitacle, mais en fait on se rend bien compte qu'ils sont tournés vers l'intérieur, en vous, et les intonations lancinantes de la chanteuse font écho à cette joute manichéenne qui se joue en votre for intérieur. La flasque reflète la lumière des lampadaires. La voiture déambule dans les rues animées mais la caméra ne change pas d'angle, tournée vers le pare-brise et vos visages, le malfrat et le kidnappé soudain devenu complice.

Arrivé devant la banque, la voiture et la mélopée s'arrêtent.
« Alors tu te rappelles ce que tu dois faire?
_ Oui, et vous, vous serez où? Je ne serai pas loi, prêt à te récupérer. Tu diras que finalement tu te sens pas bien du tout et que tu rentres chez toi. Voilà le papier avec le numéro et le nom du propriétaire du coffre. Et n'oublie pas de lui demander ce qu'il se passe si un client perd sa clef.
_ OK. » Plus de questions à poser, obéir aux ordres. Et aux moment où vous sortez, au ralenti, une musique rythmée, avec des basses lourdes, sourdes, et des cuivres criants de toutes leurs tripes éclate en mille coups de tonnerre dans le lointain. Et rythme vos pas. Vous poussez la porte – gros plan par-dessus votre épaule de votre main. Caméra au niveau de votre bassin, la flasque dans votre main gauche, se balance au gré de votre démarche. Toujours la musique battant comme un cœur. Et vous montrez votre badge et vous passez les sas de sécurité et la batterie fait subitement place à un piano qui égrène une petite comptine alors que la caméra, en passant, fait le point sur des visages inquiets, des regards soupçonneux, désapprobateurs. Et un gardien vous arrête, montre d'un coup de menton la flasque. Vous la lui donnez d'un brusque revers de la main, qui vient cogner contre sa poitrine. Interloqué par ce geste, le gardien prend la flasque et vos pas reprennent non aux accents du piano mais aux pulsations de la batterie. Et les bureaux défilent et la caméra, juste au-dessus de votre tête, en légère contre-plongée, met un long couloir en perspective. Et la musique s'arrête alors que la plaque « M. Ponty, Chef des Coffres » s'affiche en gros plan.
« Monsieur Desmart, que me vaut l'honneur?
_ Je ne vais pas abuser ni de votre temps ni de votre gentillesse, Monsieur Ponty. Je suis ici pour un coffre que je dois vider de son contenu. Ma tante, Madame Desmarais, m'a chargé de cette formalité. Voici la clef.
_ Je suis au courant, figurez-vous. Votre « tante » m'a appelé en disant que quelqu'un de confiance viendrait récupérer ses effets personnels. Je n'aurais jamais pensé à vous. Vous devez néanmoins signer le registre comme tout le monde.
_ Cela va de soi. » Et un qanûn fait vibrer ses cordes mélancoliques et auguriennes dans l'air alors que vous apposez votre signature au bas du document. La femme – elle de nouveau – entonne un autre chant, plus profond, et vous accompagne, vous et Monsieur Ponty, vers la salle des coffres. Alors qu'un violon et un alto, comme par désenchantement, viennent tisser une trame mélodique dense, presque oppressante, et par-dessus votre épaule, flou parce que le point n'est pas fait sur lui, vous voyez le vieil homme qui vous jette des coups d'œil à la dérobée. La musique continue alors qu'il sort un trousseau de clefs et ouvre une, puis une deuxième porte blindée. Là des centaines de rectangles dorés apparaissent, entassés du sol au plafond, avec de petits numéros noirs dans les angles. Deux hommes sont au fond de la salle, assis à une table: ils s'interrompent à votre arrivée, puis voyant Ponty, reprennent leur discussion à voix basse.
Il vous désigne d'une main tendue un des rectangles. Vous demande votre clef. D'un geste expert, il sort de l'emplacement une longue boîte rectangulaire et la pose sur une petite table. Il va pour se retirer mais vous l'arrêtez:
« Monsieur Ponty, qu'est-ce qu'il se passe si un client perd sa clef?
_ Ah! Une bien bonne question! Comme quoi je me suis bien trompé sur vous, vous avez plus de jugeote qu'on ne le pense. Eh bien j'ai ceci, au cas où. » Et il déboutonne le col de sa chemise et en extrait une clef brillante, attachée par une lanière de cuir rabougri. Gros plan sur la clef dans la main tremblante, tâchée de vieillesse. « Ceci est le sésame, Julien, le sésame! » Et il remet le passe dans sa chemise. Il tourne enfin les talons, va saluer les deux hommes au fond de la salle.
Vous n'avez pas les idées très claires et la musique inquiétante revient. Vous ouvrez la boîte. Une grosse enveloppe marron s'y trouve. Une plus petite se trouve en dessous. Et une clef. Vous pliez la petite enveloppe et vous la fourrez ainsi que la clef dans votre poche. L'enveloppe sous le bras, précédé du vieil homme, vous regagnez le couloir, puis après lui avoir serré la main, vous regagnez votre bureau. La musique s'arrête subitement.
Que décidez-vous?

Friday, 28 May 2010

Weekend Rennes-Brocéliande-Bayeux-Caen

Un très bon, très long weekend au pays des fées à Rennes et de Merlin à Brocéliande. Prolongé par la Tapisserie de Bayeux. Le retour à la réalité des plages du débarquement fut éprouvant. Mille et une histoire, entre rêve et réalité, et  l'un dans l'autre, je pense savoir lequel je préfère.

Voici les photos de Rennes, de Brocéliande, de Bayeux et pour finir de Caen! Ouf! Vous avez tout vu.

A plus pour de nouvelles aventures.

Wednesday, 26 May 2010

Haïku sous la pluie

 
Il viendra bien un moment
où la terre toute lézardée de soleil
régurgitera un peu de cette persistante pluie

Haïku sous la pluie

plic-ploc-ploc-ploc-plic-plic
Pluie sur le toit du monde

le pluvieux bruit du monde

Haïku sous la pluie

 
Odeur puissante et atavique
de la pluie tombant
sur ce sol brûlant, presque estival.

Tuesday, 25 May 2010

Histoire dont vous êtes les héros #6


Vous ne savez que faire, vous n'avez jamais été braqué avant. Vous vous jetteriez bien sur eux, mais quelque chose vous en empêche. Alors plus qu'une solution: crier, et fuir. Pour une raison inconnue – d'un autre côté vous ne pouvez pas tout savoir, n'est-ce pas ? – vous faîtes l'inverse de ce que vous aviez décidé de faire. Vous fuyez donc, vers la chambre et vous criez ensuite. Vous trouvez ceci fort dommageable alors que votre cri aurait pu alerter les voisins, car ce qui sort de votre bouche presque aussitôt muselée par une poigne forte par-derrière ne ressemble pas beaucoup à un cri. Un gargouillis peut-être, tout au plus.
Alors, en une fraction de seconde, vous voyez le futur défiler devant vos yeux embués de larmes – le malfrat vous fait un mal de chien : vous vous voyez menotté au radiateur, avec un ruban adhésif noir sur la bouche, à devoir regarder ces trois renégats violer la pauvre Elena puis lui trancher la gorge avant de vous faire subir le même sort. Ou alors ils ne vous violeront pas mais vous éviscèreront en prenant leur temps, vous injectant toute une gamme de produits pour vous maintenir éveillé, conscient dans votre agonie, et la douleur vous arrachant des spasmes, des sanglots que personne n'entendra dans le noir de la nuit mais que tous vos voisins imagineront avoir entendu lorsqu'ils entendront, de la bouche de Mister Goussard, gardien de l'immeuble et rapporteur à quatre chandelles, qui jurera tous les grands dieux qu'il a tout vu parce qu'il a dû ouvrir la porte aux policiers et mon dieu tout ce sang des boyaux partout ça puait la viande avariée – excusez-moi Madame Froitemont – GRRRRR – du calme Polly – et il y en avait partout ils ont dû le droguer pour qu'il ne crie pas c'est horrible de devoir endurer autant de souffrance que ça sans pouvoir crier.
Et un instant plus tard, vous vous dîtes que vous venez d'envoyer un message prévenant de votre absence demain: personne ne viendra à la rescousse ni n'aura la moindre puce à l'oreille, pas même le collègue – s'il y en a – qui vous appellera pour prendre de vos nouvelles et qui tombera à chaque fois – c'est-à-dire deux fois – sur le répondeur.
Tout ceci pour dire que si vous aviez crié puis fui, tout ceci aurait pu mieux se terminer.
Mais l'ordre de la soirée est différent. Vous êtes ligoté avec de larges bandes de scotch noir – vous appréhendez déjà l'épilation quasi-intégrale avec leur force de brutes épaisses et ricanantes – et on vous jette sans ménagement sur le lit – qui est vide – car Elena – est en train d'embrasser un des hommes, à travers sa cagoule. La lumière de la lampe de chevet ne laisse rien voir de ses émotions. Peut-être tout simplement parce qu'elle n'en a pas.

L'un des trois, celui que cette p..etite traîtresse d'Elena a embrassé, donne les ordres dans une langue que vous ne reconnaissez pas, mais une langue slave. Pourquoi pas du russe? Ou du serbo-croate. Bref. Une langue de sanguinaires. Ils ne semblent pas vous voir, font des allées et venues dans l'appartement, entreposent du matériel dans la cuisine, boivent des bières à la paille. Il y a quelque chose de ridicule à porter une cagoule – une balaclava, pour être plus précis, mais vous ne le pouvez pas – avec des trous pour les yeux et la bouche. Les yeux parlent aussi, disent des centaines de choses. Sauf que là, rien ne vous parle moins que les yeux inexpressifs des trois hommes. Elena est partie, donc il n'y a pas grand chose à regarder.
Il est six heures douze. Et à cette heure-là, ce jour-là, vous regardez votre chambre avec d'autres yeux. Et vous vous trouvez pitoyable: aucune touche féminine, mélanges de couleurs sans aucun goût ni structure, des objets ternes, sans relief: rien n'accroche l'œil. Tout est plat. À cette même minute, le leader vient s'accroupir à vos côtés. Son haleine est un savant mélange de tabac, de café, de bière et de transpiration. Vous froncez les sourcils.
« Qu'est-ce que tu sens? » vous demande-t-il. Sa voix est mesurée, mais vous en sentez la puissance tapie derrière les « r » qui roulent comme des trains de marchandises.
« J'ai droit à un joker?
_ Tu boiras plus tard. Dis-moi ce que tu sens. Sois honnête, je ne te frapperais pas.
_ Ben vous sentez plutôt mauvais. Ça sent la sueur et le mauvais café. Ça sent le tabac froid et la bière en canette. Je plains Elena d'avoir à vous embrasser. » Voilà que vous lancez des répliques à la James Bond qui se retrouve acculé, prisonnier – sauf que lui réussit toujours à s'en sortir. Votre peau ne vaut pas bien cher dans l'état actuel des choses, mais vous n'avez pu vous empêcher d'insulter ce barbare avec ses yeux de porcs et ses poils de barbe qui passent au travers du tricot. Et contre toute attente – il sourit. On dirait que ça lui plaît que vous l'insultiez. Si ce n'est que cela, vous êtes prêt à recommencer, mais il vous devance.
« Très bon, tavaritch, très bon. J'ai fumé ma dernière cigarette hier et je ne bois pas de bière. Juste du café. Pour la sueur, on ne peut pas dire que j'ai beaucoup transpiré. Elena avait raison, tu es celui qu'il nous faut.
_ J'ai bien peur –
_ Toi, tu te tais. Tu vas faire ce que je te dis de faire. Tu vas aller au travail un peu en retard, faire comme si de rien n'était. Tu vas te débrouiller pour parler à monsieur Ponty. Il t'aime bien, d'après ce qu'on sait, et tu vas lui demander de l'accompagner dans la salle des coffres pour retirer le contenu d'un certain coffre. Voilà la clef. Et tu vas y aller bourré, sans faire de vagues. Si tu fais ça, tu es un homme riche, et un homme libre. » Vous avez envie de lui rire au nez – et c'est ce que vous faîtes.
« Ahahaha, si vous saviez, mon pauvre, Ponty ne peut plus me blairer depuis que j'ai par erreur vu sa boîte mail. Je n'ai fait que voir le titre des deux premiers messages: le vieux est abonné à un site porno. » Il vous a semblé voir un froncement de sourcil, mais la voix ne tremble pas, pas plus que les lèvres ou les cils. Tout paraît sous contrôle.
« Ça, c'est pas grave. Tu as la clef, il ne peut pas te refuser l'accès. Tu inventeras un bobard s'il te demande comment tu as eu la clef. Alors, tu dis quoi? »

Middles

  Someone once wrote that all beginnings and all endings of the things we do are untidy Vast understatement if you ask me as all the middles...