Tuesday 13 November 2007

Opus #8

12 décembre,

[Tout avait changé ce fameux soir. Son premier enfant. Il avait bien failli tout compromettre. Son grand plan et tout le reste. Il avait pris peur en voyant cette innocence dans les yeux du jeune garçon. Auparavant, même deux secondes avant d’empoigner cette gorge fraîche qui lui faisait envie, il ne savait pas ce qu’il allait devoir tuer. Ce soir-là, il n’avait pas assassiné par plaisir, mais par crainte, par peur, par instinct de conservation. L’enfant n’avait pas crié, n’avait pas émis le moindre son. Il l’avait suivi sans mot dire, docilement. Il avait vu le couteau et alors l’enfant s’était un peu débattu, mais sans plus de conviction. Peut-être se sentait-il déjà impuissant. Il s’était accroupi pour regarder ce visage rond et poupin droit dans les yeux alors que la vie le quitterait – il aimait déjà à faire cela – mais une fois à genoux il avait vu cette chose qui lui avait fait dresser les poils sur les avant-bras et la nuque. Il ne s’était pas attendu à voir cela, lui qui d’habitude buvait la peur, l’angoisse, l’agonie comme on se délecte d’un vin liquoreux. Il avait eu à assassiner l’innocence, purement et simplement. Il avait hésité, l’enfant l’avait senti ; mais à trop repousser l’échéance, il était tombé nez à nez avec un passant, les mains et les chaussures couvertes de sang. Il n’avait dû sa survie qu’à son instinct. Aurait-il réfléchi, il serait derrière des barreaux à l’heure actuelle.]

Je me souviens bien de cet enfant, de ses traits ; il m’arrive de les revoir en rêve, rêve dans lequel se mêle l’appréhension, la colère et un frisson dont je ne saurai dire s’il est de culpabilité ou de plaisir. J’y repense souvent, également. A l’époque cet épisode m’avait beaucoup affecté et j’avais écrit ceci : « Non, non, non. Tout cela me déplaît. Il n’y a pas d’ordre, pas de méthode. Cela a tout d’une boucherie sans nom, d’un effroyable gâchis et pas d’un grand œuvre dédié à l’homme et aux générations futures. Je suis méthodique, cartésien ; le parangon de ma patrie. Je me dois de le prouver à la postérité pour qu’elle puisse apposer un nom à mon ouvrage. Dorénavant, je serai minutieux dans mon hygiène, soucieux dans mon éthique. Si je dois à l’instar d’Hérode être sis sur une montagne de cadavres, que cela soit un trône, un monument duquel je contemplerai le monde à mes pieds, puissant et fier, une mer de sang fumant et emplissant l’air de ses effluves de Styx, comme un brouillard assassin. »

A présent, bien des choses ont changé. Il avait fallu une première fois, durant laquelle il avait – il devait bien l’admettre – perdu ses moyens. A présent, il prenait plaisir à étouffer cette innocence, à la regarder périr entre ses doigts, se débattre, murmurer du bout de ses lèvres cyanosées. Il avait, ce soir-là, ajouté la cruauté à la méthode. Il avait franchi une nouvelle étape dans son achèvement personnel, il se rapprochait du but inavoué, celui vers lequel tout assassin tendait mais n’avait encore atteint. Lui, bien loin de tomber dans la folie, le plagiat ou l’anonymat, réussirait.

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