Thursday 8 November 2007

Assassin #5

9 décembre,

Je suis cantonnier. Les gens dans la rue ne me voient pas. Ils détournent le regard ou m’ignorent complètement. Ils rejettent tout ce qui ne leur ressemble pas, loin d’eux. Je ramasse les fèces de leur chien, je nettoie les caniveaux des feuilles mortes, des rats au ventre gonflé, des oiseaux écrasés, les vomis dominicaux sur les trottoirs. J’ai un balai entre les mains et j’aime faire des pauses qu’ils se complaisent à appeler « syndicales » pour aller boire un ballon de vin rouge au bistrot du coin. J’ai le teint aviné et je n’ai pas besoin de gants l’hiver parce l’alcool tient chaud. Je vis vieux parce que l’alcool préserve. Je vis dans un misérable logement de bonne sous des combles insalubres parce que mon misérable émolument ne peut me donner mieux et le fait que je n’ai pas fait d’étude me donne le droit de ne rien dire, de ne pas me plaindre. La société est déjà assez bonne de me donner un emploi et un toit. Assez bonne de m’héberger en son giron compatissant mais limité. De travailler pour me sustenter. La société ne peut rien faire de plus que de passer son chemin. Après tout, il n’y a pas qu’un cantonnier sur terre. Qui se ressemble s’assemble. On a mis l’eugénisme au ban de la société alors qu’elle le pratique couramment et sans remords. On ne m’a jamais appris à lire. Je ne sais pas me comporter en société. Je rote, je pète. Je me lave quand j’ai le temps, quand j’arrive à sortir suffisamment de ma léthargie éthérée pour aller justifier le maigre salaire que la société a consenti à me donner. Nombre de mes compatriotes se sont passés la corde au cou, pour le plus grand désintéressement de la population, pour le très bref désoeuvrement de la mairie. Personne n’est irremplaçable. Je prouve au monde que justement si. Que je m’éduque en autodidacte parce que je n’ai pas eu l’opportunité de le faire plus tôt. Que je connais plus de choses sur les anciennes civilisations que l’idiot moyen qui foule le petit tas de poussières sur le trottoir que je balaie. Que je sais lire le grec et le latin. Que je peux parler plus de six langues. Que je connais chaque partie du corps humain, peut-être aussi bien qu’un chirurgien. Que je reconnais une œuvre musicale classique dès les cinq premières notes. Que je connais mes peintres. Mes auteurs. Que je possède plus de deux mille livres dans le gourbi dans lequel je traîne ma pauvre carcasse. Deux mille livres lus. Et desquels je me souviens. Que je hais la plupart des êtres humains dont je croise le chemin. Que je suis capable de vider un gros porc de ses sept litres de sang en moins de vingt minutes. Que je suis capable d’étrangler une personne en moins de sept secondes sans qu’elle puisse émettre le moindre son, pas même le plus léger gargouillis. Que je peux dépecer un homme dans un parc un dimanche après-midi en moins de trente minutes sans que personne ne remarque quoi que ce soit, surtout pas son enfant qui est en train de jouer six mètres plus loin sur une balançoire. Que je suis assez lucide pour voir que ce que je fais est qualifié de monstrueux et de barbare par la plèbe sans pour autant être condamné par le reste de la planète en temps de guerre. On a parlé de moi, certes, à plusieurs reprises et assez violemment dans les bars et autres échoppes de la ville et je suppose également à travers le pays, mais rien ne transparaît à l’échelle mondiale. Les familles sont émues mais ne cherchent pas à se venger par leurs propres moyens. Gilgàmesh n’aurait jamais laissé les choses se passer ainsi. Ni Hector ni Médée. Il n’y a bien qu’un universitaire dégarni et gâteux pour s’extasier devant un jeu de mot tel que un coup de dé jamais n’abolira le hasard. Le hasard est justement le jeu de dé. Et je joue au dé avec chacune de mes victimes.

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