Saturday 2 January 2010

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes #13


Premier jour. Sortie d'hôpital. Il a encore des points à faire enlever d'ici deux, trois semaines, mais après ça, il sera débarrassé, et seul. Ne restera dans une semaine, quinze jours, qu'une visite de contrôle par une assistante sociale parce qu'il a refusé l'aide à la maison qu'on lui a proposée. Parce que tout le monde est au petit soin. Il n'a pris tous les numéros au différents organismes que pour qu'ils le lâchent. Droit à la compensation, insertion professionnelle, « projet de vie », ADEPA, MDPH, FNATH, PCH – tous ces H qui te rappellent la coupure – carte d'invalidité, de priorité, de stationnement – tout ça il n'en a rien à foutre, il veut qu'on lui lâche la grappe. Ils le regardent avec sympathie, même quand il les insulte.



Le voilà manchot. Enfin. Mais bizarrement il n'a pas ce sentiment d'hilarité qu'il aurait cru se sentir. Même dans la quiétude de son appartement, loin de tous ceux qui le traitent comme un demeuré ou un futur bon à rien, au choix. Pas d'excitation, un calme olympien. Voilà.
Le réfrigérateur, vidé de son contenu moisi, se met en route. Ronronne sans rien demander à personne. Tout est resté à sa place. Le grille-pain en inox. La bouilloire. Il a un peu mal à la tête. Prendre un verre, le poser, se servir à la carafe, déboucher le tube d'aspirine. Boire. Rien de sorcier.



« Barème pour l'évaluation des déficiences et incapacités des personnes handicapées:
 1. Déficience légère (taux : 1 à 20 p. 100)
Sans retentissement sur la vie sociale, professionnelle et domestique ou sur la réalisation des actes de la vie courante. Exemple :
- amputations partielles ou isolées des doigts ou des orteils, raccourcissement minime... »



Un petit souci d'équilibre. « Ça se règle avec le temps. » Le seul docteur à ne pas le ménager, à lui annoncer les choses sans prendre de gants, à regarder la plaie sans sourciller. Peut-être par j'en-foutisme. Bref. Dehors, les oiseaux chantent à tue-tête. La fenêtre entrouverte laisse filtrer la chaleur de l'été. Du temps a passé depuis l'accident. Le monde au dehors a continué, pour la famille qui les a percutés, avec une grosse frayeur et quelques minerves, pour les policiers, pour Michel. Lui, à l'instar des malfrats, était resté sur le carreau, là-bas, sur cette fichue autoroute, son bras écrasé sur cette fichue rambarde, sa fichue vie abandonnée sur l'asphalte à se vider de son sang. Il ne sait encore s'il est un homme nouveau ou un autre homme. Il y a songé longuement, sans trouver de réponse. Pour l'instant. Il sait une chose: il est enfin ce qu'il a toujours voulu être. Et il ne sait pas comment réagir, que faire, à part attendre, assis dans la cuisine, un verre d'eau dans lequel une aspirine vient de se dissoudre.



« 2. Déficience modérée (taux : 20 à 40 p. 100)
Gênant la réalisation de certaines activités de la vie courante ou ayant un retentissement modéré sur la vie sociale, professionnelle ou domestique. Exemple :
- amputation d'un pouce, ou du gros orteil ou de plusieurs doigts ou orteils, de l'avant-pied, raccourcissement gênant (boiterie).



À bien y réfléchir, il aimerait agir. Bien des gens lui diraient de se ménager, qu'il n'est rentré que depuis aujourd'hui, qu'il faut qu'il prenne son temps, qu'il prenne le temps de prendre ses marques. De retrouver une vie. Alors qu'ils ne comprennent pas qu'il ne veut pas la retrouver – il l'a enterrée comme on enterre un corps embarrassant. Il n'a même pas à l'oublier – elle est morte, morte! cette putain de vie. Il doit se construire une histoire personnelle – encore un H – et pas sur les braises de l'ancienne. Il se lève. Pose le verre vide dans l'évier. Ouvre le robinet, met du produit vaisselle sur l'éponge. Le verre roule sur le tapis antidérapant. Il arrive à le coincer sur un rebord, frotte tant bien que mal, aimerait bien nettoyer le fond du verre. L'eau coule. Il lâche l'éponge, coupe le robinet. Reprend le nettoyage du verre, qui n'est pas si sale que ça. Il rince, pose dans l'égouttoir. Une minute et quelques. Pour un verre.



« 3. Déficience importante (taux : 50 à 75 p. 100)
Limitant la réalisation de certaines activités de la vie courante ou ayant un retentissement important sur la vie sociale professionnelle ou domestique. Exemple :
- amputation de jambe ou de cuisse (appareillée), ou de l'avant-bras, du coude ou de l'épaule, unilatérale côté non dominant. »



Il a transpiré. Bon Dieu. Transpirer pour un verre. Qu'est-ce que ce sera quand il aura des assiettes, des plats. Il faut qu'il se procure un lave-vaisselle, de toute urgence. Les procédures pour faire aménager une voiture sont faites, l'électroménager suit de près. Il doit s'organiser pour ne pas se laisser déborder, essayer de parer aux imprévus.
Il défait ses lacets, envoie valser ses chaussures loin sur le tapis et s'affale de tout son poids sur le canapé. Il soupire comme il a rarement soupiré. Ça va pas être de la tarte. Il n'y a aucune raison de céder à la panique, il suffit d'être un tantinet organisé, rationnel, logique. Il va avoir quelques difficultés, ça c'est certain. Il s'est néanmoins déjà entraîné depuis une dizaine d'année à réaliser certaines tâches de la main gauche. Le fait qu'il pensait conserver un moignon pour faire levier ou prendre appui était un coup bas dans sa préparation. Il va devoir faire sans, tant pis.
Il repense à toutes ses années d'errance. Il se dit qu'il en voit le bout, enfin. Il scanne son appartement du regard. Tout est à sa place. Ses yeux tombent sur les chaussures en vrac. Il se relève avec un peu de mal, de gaucherie, et ramasse les éléments perturbateurs. Il se dit qu'il ne doit pas commencer à mettre le souk. Or-ga-ni-sa-tion. La tête lui tourne soudainement. Il se rassied. Lâche ce qu'il avait dans les mains comme si c'était des charbons brûlants. Bordel de pompes de merde: comment fait-on des lacets avec une seule main? Hum! Lui qui voulait quelques instants plus tôt prévoir l'imprévu. Il va devoir penser beaucoup plus loin que ça, ouvrir son esprit à d'autres problèmes.



« 4. Déficience sévère (taux : 80 à 90 p. 100)
Rendant les déplacements très difficiles ou impossibles ou empêchant la réalisation d'un ou plusieurs actes essentiels. Exemple :
- désarticulation de hanche, d'épaule ou du coude dominant ; ou amputation bilatérale des membres supérieurs. »


Tuesday 29 December 2009

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes #12


Il fait chaud dans la voiture. Ils roulent à tombeaux et fenêtres ouverts. Chacun a un bras par la fenêtre. Une bien belle image de vacances si quelqu'un les prenait en photo, de face. Le coupé Z4 file au ras du sol, un avant caréné en tête de requin et eux, deux zigotos le sourire jusqu'aux oreilles, un bras pendu nonchalamment de chaque côté. Il lui a laissé conduire son bolide, lui qui n'a jamais eu affaire qu'à de vieilles guimbardes. Michel jubile, pousse les rapports, sono à fond. Deux célibataires en virée. L'après-midi se passe. Après deux heures et demi de voiture ils n'ont plus grand chose à se raconter, à voir ou de quoi se moquer. Le soleil plombe le paysage. Même le ciel pourtant d'un bleu immaculé semblait aplati. Pas un oiseau. Pas une vache dans les champs. Peu de voiture. Ils avaient évité le flot en partant plus tôt. Vive les RTT! La radio braillait des chansons vulgaires, sans âme, des flots de paroles dépourvues de sens sur des rythmes effrénés ou sirupeux au possible. Il détestait cela mais faisait avec. Après tout, il n'était pas dans sa voiture. Il s'assoupit.


Les genoux de sa mère. Voile fleuri, vaporeux. Pantalon de serge brune. Un peu chaud pour l'époque. Il ne voit que des genoux. Il lève la tête. Voit une multitude de paires d'yeux qui le fixent. Il sourit parce que les visages lui sourient. Que fait-il ici? Il n'a pas peur, il ne sait simplement pas où il se trouve ni ce qu'il doit faire. On attend toujours quelque chose de lui, un rire, un sourire, qu'il ouvre la bouche, qu'il donne sa main, qu'il dorme. Parfois il ne veut pas, parce qu'il n'a pas envie. Alors on le force, on lui donne une petite tape sur les mollets. Il n'aime pas ça, alors il pleure. Crie. La claque est plus sèche, alors il continue de plus belle. Parfois, une main douce vient apaiser le feu sur la peau, parfois quelque chose de cinglant vient rosir un peu plus les chairs. Aujourd'hui il fait chaud. Il fait beau. Il y a un petit vent qui caresse ses cheveux, joue avec les pans des robes. On marche sur des gravillons blancs. Il aime leur couleur, leur chaleur après une journée sous le soleil. Il en met quelques-uns dans sa poche. On ne lui a pas demandé de donner sa main, ni même de suivre. Mais il suit. Et va mettre sa main dans celle de sa mère. C'est une belle journée, mais il ne sait toujours pas ce qu'il faut faire, et ça commence à devenir lassant, ou énervant. Alors il s'arrête. Il a mieux à faire ici avec les petits cailloux blancs. Ils ont tous une forme différente. Il aime le contact de leurs angles cassés. Une main, rugueuse, forte, empoigne son bras; une autre lui fait ouvrir sa main et fait tomber tous les gravillons à terre, comme si c'était sale. L'entraîne de force vers le groupe qui est loin devant. Il est surpris. Ne veut pas, crie, hurle malgré les claques sur les mollets, les cuisses, les fesses.
Cette main, inexorable, le tire en avant et son bras lui fait mal. Il voudrait être comme les lézards dans le jardin qui se coupe la queue pour s'échapper. Les regards des gens, les sourcils froncés, les moues réprobatrices, il s'en fiche. Il a mal au bras maintenant.


Il se réveilla en sursaut, affalé dans le siège. On était entre chiens et loups. Le soleil était passé derrière la bande nacrée d'horizon. L'air était plus frais, l'habitacle s'était notablement rafraîchi. Il préférait néanmoins cette fraîcheur à la chaleur grésillante de l'après-midi, celle qui réchauffait encore la peau de son bras. Il en aurait presque des frissons. Il y avait quelques nuages. Michel se frottait les yeux.
« Tu veux que je te reprenne?
_ Non, ça va aller; il nous reste quoi, quarante bornes? On a pas passé Uzerche. »
Il prit la carte pliée et repliée, jetée en vrac à ses pieds, la retourna. Il se félicita intérieurement de n'utiliser que sa main gauche.
« Mmmh, mouais, quelque chose comme ça. » La carrosserie était encore chaude sous son bras droit, il sentait les vibrations causées par les aspérités de la route, par le vrombissement du moteur.
« Il m'éblouit ce con. Merde mais il est à contre-sens! » Il eut juste le temps d'abaisser la carte que la lueur des phares emplit l'espace de la voiture. Michel avait un bras tendu contre le volant, une main en visière devant ses yeux plissés. « Mais il nous fonce dessus – MERDE! » La voiture fit une embardée sur la droite, vint percuter la rambarde de sécurité, fit une autre embardée sur la gauche et vint percuter une deuxième voiture arrivant en sens inverse.


De ce qui s'ensuivit, il ne vit rien. Les pompiers le lui racontèrent, peu après, alors qu'il était allongé sur son brancard, enfin lucide. La voiture qui s'était engagée en sens inverse sur l'autoroute abritait quatre malfaiteurs qui venaient de braquer une banque. Ils les avaient évités de justesse, mais pas la voiture de flics qui les poursuivait. La fatigue avait émoussé les réflexes du conducteur – et c'est peut-être ce qui les avait sauvés tous les deux. Après avoir percuté la rambarde, leur voiture s'était dirigée directement sur les policiers qui avaient braqué complètement à droite: les deux véhicules avaient ainsi évité la collision frontale qui leur aurait forcément été fatale à tous. Au lieu de cela, lui et son ami avait enfoncé l'arrière de la voiture de police. S'ensuivirent une série de têtes à queue qui les télescopèrent quelque part sur la voie.
Les braqueurs, quant à eux, ont fait deux kilomètres de plus avant de se pulvériser dans l'avant d'un trente-huit tonnes. Morts sur le coup. Ce qui fait que les pompiers sont arrivés sur les lieux du deuxième accident en premier, et là se joue le clou du spectacle: il semblerait que son ami, ayant repris ses esprits, ai commencé à déboucler leurs ceintures pour les faire sortir du véhicule lorsqu'une voiture, passée au travers du second accident sans encombres, les percuta de plein fouet par l'arrière. Ils furent catapultés hors de la voiture, à plusieurs mètres de distance, chacun d'un côté. À leur arrivée les pompiers ont découvert ce qu'ils appelaient « un chantier ». Trois véhicules, un corps étendu en travers de la route, six inconscients dans leur siège. Le calme plat. Pas un bruit, pas même la sirène, devenue du coup inutile. Prise rapide des pouls, constat des commotions. Il faudrait désincarcérer. Celui sur la route était plus inquiétant. On s'affaire autour de lui. Et là, sorti de nulle part, on entend un râle et ils tournent tous la tête dans la direction: ils voient un homme arriver vers eux en boitant, ramassé sur lui-même, pleurant et geignant. Il balance une épaule en avant dans sa claudication, son bras gauche serré sur sa poitrine, sa main enveloppant son épaule. Ses vêtements sont maculés de sang, surtout d'un côté. Il vacille, donne l'impression de chuter à chaque instant, à chaque pas. Il s'écroule avant qu'ils aient pu réagir. Cet homme bien mal en point, c'est lui.


Il n'en avait bien entendu aucun souvenir. Autour de lui que de visages souriants – son ami venait de sortir du coma, il pourrait le voir d'ici peu. Il se releva pour serrer la main à tous ces hommes de courage – et tomba à la renverse. Un des pompiers lui mit une main sur la poitrine, lui désigna d'un bref signe du menton son épaule droite. Il ne vit rien, ne compris pas sur le moment. Il lui fallut quelques secondes avant de réaliser que c'est justement parce qu'il n'y avait rien à voir qu'il fallait regarder. Il releva sa manche: son bras droit était enturbanné de gaze rougie, peut-être dix centimètres sous l'épaule. Les bras lui en seraient tombés si seulement il avait toujours les deux.
A cet instant, comme si une synapse venait de faire le lien entre ses neurones, il se remémora la douleur intense, aigüe, alors que la voiture tapait violemment contre la rambarde, alors que son bras pendait encore nonchalamment par la fenêtre. La chaleur de la carrosserie, les vibrations de la route: voilà les dernières sensations que son bras aura ressenties. Il n'avait pas prêté attention à la douleur, son regard était déjà happé par la rambarde de l'autre côté, l'autre voiture en face, le danger imminent de mort.


Il osa regarder les visages autour de lui: la magie opérait déjà.

Monday 28 December 2009

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes #11


« Je viens d'envoyer le fax de confirmation au groupe Vinci.
_ Merci Jean-Luc. Tu es prêt Michel?
_ J'arrive, j'arrive. Oulààà! Mais on débouche le mousseux! En quel honneur?
_ Champagne, monsieur! Nous fêtons les résultats de l'entreprise après seulement dix-huit mois d'existence. Messieurs, je vous annonce solennellement que nous sommes classés!
_ [...]
_ [...]
_ Ah. Bon. Tant pis pour l'effet. A voir vos têtes, vous ne mesurez pas l'ampleur de ce que nous avons réussi. Chaque année, un classement des start-ups est réalisé par un organisme très pointilleux et ils publient un hit-parade dans une édition spéciale annuelle. Nous faisons partie des cinquante premières boîtes les plus côtés de France avec le plus gros chiffre d'affaire annuel.
_ Et pourquoi? Enfin, je veux dire, comment en est-on arrivés là? Je sais pas pour toi Michel, mais moi je ne pensais pas être aussi redoutablement efficace. » Michel hausse les épaules, ses épais sourcils remontés au milieu de son front plissé par l'étonnement. Reste muet.
« Disons que lorsque j'ai commencé j'ai utilisé mon carnet d'adresses de trader. Ça nous a ouvert les bonnes portes. Mais je ne veux pas minimiser vos efforts dans cette réussite: c'est pourquoi j'ai vu avec la comptable et je vais vous distribuer des primes spéciales d'intéressement.
_ Attends là, tu me fais tourner la tête. Je suis d'accord avec Jean-Luc: je vois pas bien comment on a réussi ça. Et quand je dis « on », je suis pas sûr d'utiliser le bon mot. On devrait dire « tu ». C'est toi qui portes ce projet à bout de bras, depuis le début. C'est toi qui nous dis quoi faire, quoi dire, quoi envoyer. Si tu m'avais pas coaché, j'en aurai fait une sacré wagonnée de conneries. » Jean-Luc hoche la tête, approuve, les sourcils froncés.
« On s'en fout, non? Le résultat est là, et c'est ce qui compte. Vous recevrez comme prévu le chèque en fin de mois.
_ Et on parle de combien?
_ 60 K. Chacun. » Michel s'étouffe avec sa salive. Jean-Luc pâlit. Il veut parler mais sa mâchoire ne peut que monter et descendre. Finalement, d'une voix chevrotante, il arrive à dire:
«  Tu es au courant que c'est plus que notre salaire de l'année? Et on gagne déjà beaucoup.
_ Et encore, c'est rien à côté des résultats prévus à la fin de cette année. »
Un borborygme leur fait tourner la tête. Michel lutte visiblement pour dire quelque chose.
« Je j'ai je suis, j'ai pas...l'habitude.
_ « La première fois ça pique les yeux, après ça fait plus rien, » disait je sais plus qui. Ça va aller." Il veut le rassurer, et il ne veut surtout pas qu'il lui vole cet instant de patron, cet instant qu'il a toujours vécu de l'autre côté du bureau.
« Non mais quand même! Quand Ghislaine va savoir ça...
_ Tu vas nous creuser un peu plus tes cernes! »
Décidément, il n'avait pas prévu ça comme ça. Si en plus Jean-Luc donnait aussi dans la blague grasse...il n'était pas sorti de l'auberge.

Mais les beaux jours eurent raison de la grivoiserie ambiante. Ils passèrent le reste de l'après-midi à éplucher les résultats, à se triturer le cerveau pour mieux organiser leur travail respectif, à boire du champagne, à manger les amuses-gueules commandés pour l'occasion, aux frais du patron.

Dans une semaine, comme convenu, lui et Michel partiraient dans le Limousin. Jean-Luc, lui, en profiterait pour faire le premier barbecue de la saison. Chacun des deux compères, rentrant chez soi ce soir-là, se dit qu'il a passé la plus belle journée de travail de sa vie, et qu'il a hâte de voir la tête de la famille, en annonçant la nouvelle entre la poire et le fromage. Le « patron », quant à lui, fêta cela au restaurant japonais, seul mais satisfait, seul mais digne. Il prit son dîner avec du saké chaud. Une fois rentré, il passa une bonne soirée devant la télévision. Il se rappellerait cette soirée-là pendant un bon moment, car elle n'avait rien d'exceptionnelle. Il était monsieur-tout-le-monde. Il était, pour une fois, comme tout les patrons du monde qui ont distribué les fruits du labeur, comme tous ceux qui ont la sensation du devoir accompli et, surtout, comme cette poignée d'hommes et de femmes qui ont le sentiment grisant d'avoir enfin fait quelque chose de bien.

Sunday 27 December 2009

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes #10


À Los Angeles, ils passent enfin à aujourd'hui. À Auckland, ils passeront à demain dans trois heures. Tandis qu'ici, maintenant, c'est déjà un autre jour.
Même trajet, même bureau. Même Michel, même blague matinale. Même sonnerie de téléphone. Même stylo, même post-it, même interlocuteur avec un nom qui aurait pu être le même. Même sandwich, même midi. Même journée, en somme.
Et pourtant. Une certaine joie de vivre l'avait levé du lit, bien avant le réveil. Il avait pris un copieux petit-déjeuner, était passé sous la douche, s'était brossé les dents, habillé ambidextrement. Il avait pris tout son temps pour aller au bureau, ralenti même pour admirer un peu plus longtemps le soleil se lever derrière le plat de l'horizon, avait pris par le centre-ville, s'amusant à regarder les passants et les écoliers se diriger vers la place des Épars. Le ciel, sans nuage, était d'un beau bleu profond. Les étourneaux cabriolaient dans les airs, d'arbre en arbre. Il ne savait pas ce qui se passait en lui, mais tout allait bien. Sa cicatrice ne le démangeait pas. Il ne pensait pas qu'à utiliser sa main gauche. Oui, il avait envie d'embrasser le monde.


Michel fut surpris de trouver les croissants sur son bureau. Peut-être que le printemps y était pour quelque chose. Son ex-femme aussi était toute guillerette. Quelle nuit! Ça valait bien quelques cernes. En revanche, ils avaient du pain sur la planche. Faire les comptes, faire un tour des clients pour savoir si allait va bien, faxer les trucs à l'URSSAF. Le bleu viendrait flairer le fax, il en mettait sa main à couper. C'était de bonne guerre. Il avait croisé Jean-Luc qui n'avait toujours pas retrouvé de boulot. Peut-être qu'il en toucherait deux mots aujourd'hui; depuis peu il sentait son bras s'allonger. On ne savait jamais...au printemps tout était possible. « Ne manquez pas votre unique matinée de printemps, » disait un philosophe dont le nom lui échappait. Vieux reste de fac...ça ne le rajeunissait pas, tout ça.


« J'y réfléchirais. » Voilà tout ce qu'il a pu dire. Il n'a ni feint ni masqué sa surprise. Après tout ce qu'ils s'étaient dit l'un sur l'autre...mais les gens changent. Les besoins aussi. Il veut vraiment donner un coup de fouet à cette entreprise qui certes prospère, mais qui pourrait s'enrichir tout autrement. Il a envie de donner ça à Michel, de lui faire connaître le luxe, l'opulence, les joies de dépenser sans compter, de dessiner la perspective d'un avenir sans travail, d'une retraite bien méritée prise bien avant l'heure. Il est satisfait de son salaire, mais il ne soupçonne même pas les sommets qu'ils pourraient atteindre. Et pourquoi pas Jean-Luc aussi. Il a quelque chose, ce garçon de vingt ans son ainé. Une fibre supérieure à celle de Michel, un contact possible avec les clients de haut vol s'il voulait bien se donner la peine d'apprendre de lui. Il a tant à offrir aux gens. Ce monde de requins est sans appel et il le sait d'expérience: il faut être vif, apprendre des erreurs des autres sans en faire soi-même de grave, ne jamais se retourner, se faire des amis parmi ses ennemis, toujours avoir en tête un but précis. Froid et calculateur, voilà comment on le perçoit et cette image ne lui déplaît pas.
Alors oui, il y réfléchit de plus en plus. Ce pourrait être le tremplin pour sa boîte. Ils pourraient décoller, tous les trois.

Saturday 26 December 2009

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes #9


Encore une fois, aujourd'hui, il s'était strappé le bras. Et une fois n'était pas coutume, on avait bien failli démasquer la supercherie. Il se sentait honteux. Il ne savait encore si cette honte venait du fait qu'il trompait la crédulité de ses contacts ou du fait qu'il voulait à tout prix devenir infirme. Bref. De toute façon, il fallait qu'il se montre plus distant avec les gens, qu'ils arrêtent de lui mettre la main dans le dos alors qu'ils le laissaient passer en premier le seuil du bureau. Il gagnait des contrats, nom de Dieu. Il devrait faire attention que ces personnes-là ne se parlent pas, ne viennent pas à se demander si l'une ou l'autre ne se souvenait pas l'avoir déjà vu valide, celui-là. Encore heureux qu'il ne faisait pas ça à chaque fois.

Il avait vaguement des nouvelles d'Hélène, par une connaissance commune; elle allait bien. Avait une relation. Tant mieux. Après un an, il était temps. Lui? Il ne cherchait pas. N'en éprouvait pas le besoin. Michel ne comprenait pas ça, lui avait besoin de...comment le dire dans des termes moins clairs que les siens...besoin de se rapprocher physiquement de son ex-femme. Était-il allé voir ailleurs? Non. L'herbe était assez verte...Aller savoir ce qu'il entendait par là était à coup sûr prendre le risque de se confronter à une blague aussi grasse que son herbe.


Ils s'entendaient bien. Il l'appelait Tovarich; Michel l'appelait le bleu. Ils avaient décidé, dès l'arrivée des beaux jours, de se faire une virée tous les deux. Ils prendraient des RTT et partiraient en Corrèze, du côté de Tulle. Michel avait une maison de famille là-bas, dans l'arrière-pays limousin. Ils n'auraient en plus qu'à prendre l'Occitane et ils seraient rendus en deux temps, trois mouvements. Il fallait qu'ils se dépêchent, cependant, Michel et son ex-femme se rapprochaient souvent ces temps-ci.


Tous les jours la boîte s'ouvrait un peu plus. Il ne se laissait pas faire, parce qu'il y avait beaucoup plus en jeu que le regard des gens et son bien-être. Il y avait bien d'autres choses à perdre que son bras. Il se mettait des challenges chaque année. Mais celui-ci n'en faisait pas partie. C'était le challenge d'une vie, comme peu de gens osaient mettre au devant d'eux.

Le soir, il pensait au jour où il perdrait son bras. Parfois il était mélancolique, d'autres fois cela l'énervait d'attendre. Et l'énervement laissait parfois place à la colère, à la frustration. Puis, encore plus rarement, une rage démesurée lui faisait prendre un couteau tranchant, aiguisé pour l'occasion avec le même élan rageur. Il s'attachait donc à détacher son bras du reste de son corps. Une vilaine cicatrice boursouflée courait tout autour de son biceps. Mais la douleur, la douleur, voilà ce qui lui avait fait perdre ses moyens. C'était loin d'être une simple question de volonté. Il taillait dans les chairs à vif, sa peau plissant sous la lame. Ses muscles tressautaient, ses veines pulsaient et régurgitaient leur sang, son sang noir strié de carmin qui venait tacher l'émail terne de la baignoire. Sa vue se troublait ou alors des points translucides dansaient dans son champ de vision. Sa peau flasque baillait de chaque côté de la tranchée écarlate, palpitante. La gaine blanchâtre du muscle, le tendon, les faisceaux peut-être. Les mâchoires serrées, les lèvres ourlées en un rictus de douleur, de haine, de hargne.


Les trois fois où il en était arrivé là, il s'était évanoui après quelques minutes. Réveil tremblant de froid, nu dans la baignoire, recroquevillé, les genoux ramenés contre la poitrine, ensanglanté de la tête au pied. Odeur âcre du cruor séché, coagulé. Cruor, ce mot aperçu au hasard d'une lubie d'adolescent. Souvenirs pêle-mêle, puis plus rien. Dans un état second il pansait la plaie béante, sanglotant, se gavait d'anti-douleurs pour reprendre le travail le lendemain ou surlendemain et il ne pensait à rien. À rien. Annulé. Comme si on remettait les compteurs à zéro. Le regard vide croisé face au miroir alors qu'il se nettoyait le visage au gant de toilette. Les gouttes de sang sillonnaient le lavabo. Dessinaient de morbides constellations. Nausées. Vertiges. Mains agrippées au rebord froid. Tiraillements et grésillements dans tout le bras. Deux larmes en berne aux commissures des lèvres. Deux larmes, chaudes, salées jusqu'à l'amertume.

Thursday 24 December 2009

Joyeux Noël à tout le monde!

Merry Christmas to all!

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes #8


Cela faisait bientôt dix ans qu'il se préparait avec patience, quotidiennement, au moment où il perdrait son bras droit. Ou l'usage de son bras droit, il ne savait pas trop encore. C'était juste un pressentiment, mais parfois il était si puissant qu'il en avait les larmes aux yeux. Il se préparait avec la détermination d'un athlète qui sait que tout se joue dans quatre ans, aux jeux olympiques. Il se mettait à imaginer les regards des gens une fois sur le podium, la compassion, sa souffrance reflétée dans celle des autres en regardant son moignon qu'il exhiberait avec une fierté toute dissimulée. Mais il n'y avait pas que cela.

Bien entendu il n'était pas devin et il pourrait passer sa vie avec son bras droit comme la plupart des gens, cependant il savait depuis tout petit qu'il aurait à souffrir d'un grand traumatisme, comme celui de perdre un membre de sa famille ou une partie de son corps. La perte de son bras droit s'était imposée d'elle-même, au fil du temps: c'était celui dont il se servait le plus, celui dont on s'attendait à serrer la main. Depuis ce fatidique jour d'avril, il se forçait non pas à devenir ambidextre, mais bel et bien à tout faire de la main gauche, sans aucune aide ou presque de sa main droite. Il lui arrivait parfois d'espérer conserver un moignon suffisamment grand pour pouvoir au moins faire levier, au tard de la nuit, le bras strappé dans le dos, dégoulinant de transpiration.

La trentaine passée, voilà plus de dix ans qu'il attendait ça avec l'impatience d'un chirurgien plasticien quelques heures avant une double mammectomie et reconstruction mammaire dans la foulée. En son for intérieur il savait devoir subir cela, pour une sombre raison, pour un prétexte aussi insignifiant peut-être qu'une paire de claque en rentrant de l'école. Parce qu'il avait été comme ça, petit. Tout devait prendre une ampleur démesurée, il fallait faire une montagne de la plus petite chose. Il lui fallait de la démesure parce qu'il était banal. Il n'avait rien pour être heureux. Il n'était ni beau ni repoussant. Pas grand chose pour lui, à part peut-être sa volonté d'aller de l'avant. Il était d'une banalité affligeante, le type qu'on croise dans la rue et qu'on ne voit pas. Le type dont on remarque plus le chien lorsqu'il le sort que lui-même.
Être un amputé lui apporterait tout, tout ce qu'il désirait: le regard des autres, le pathos, la compassion, l'empathie. Surtout, il serait ce qu'il était véritablement: un homme complet dans son incomplétude. Un homme entier par son handicap visible. Il n'était pas trop couard pour mettre un terme à cette complétude inachevée: les choses se feraient d'elles-mêmes, un jour surprenant. Il savait que son destin résidait dans ce bras de trop dont il se servait par défaut, ce bras qui lui ferait voir la vérité, comme un Tirésias ou un Œdipe qui, ayant perdu l'usage de ses yeux, voyait enfin l'homme dans ce qu'il était de plus pur, en bien ou en mal. Il verrait l'Homme et il se verrait lui-même, fier de son reflet dans le miroir. Comme ces aveugles qui enfin se connaissaient eux-mêmes.

Il savait qu'il y avait un nom pour ça, au fait de ne plus vouloir une partie de son corps, mais à la rigueur il s'en fichait: il était différent de toute cette engeance-là. Il n'était pas du même bois que ces tarés. Il était unique, sans précédent ni successeur.

Wednesday 23 December 2009

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes #7


« J'ai rendez-vous avec le type...zut...je sais plus son nom. Le gars du BTP.
_ Jean-Philippe Janvier. D'accord. Tu reviens à quelle heure?
_ Dans deux, trois heures, tout va dépendre du trafic. Tu me téléphones si tu as un problème?
_ No problem, boss! »
Ahaha, toujours aussi drôle, ce Michel. Bon. Un dernier coup d'œil aux courriels de la matinée et hop, en voiture. Il n'avait pas tant de route à faire que cela. Son client était un gros ponte des BTP, le numéro deux de l'entreprise. Ils avaient des chantiers partout dans le monde: Dubaï, Pékin, Los Angeles, Londres, Sao Paulo, Rambouillet. Il allait donc le rencontrer là-bas, parce qu'il était quasiment injoignable si on ne venait pas le voir sur un de ses chantiers. Et puis il fallait faire du forcing: ils étaient trois sur la même affaire. Ce n'est pas Coluche qui disait qu'il valait mieux être plusieurs sur une bonne affaire que tout seul sur une mauvaise? Bref, ça lui reviendrait plus tard. Il monta dans la voiture, s'engouffra dans le trafic déjà dense de la rocade. Pour être à deux heures à Rambouillet, il s'y prenait bien à l'avance. Il prendrait même l'autoroute.


Il ne lui fallut qu'une grosse demi-heure pour arriver à destination. Plus que trois-quarts d'heure à tuer le temps. Ou pas. Depuis qu'Hélène était partie – surtout depuis qu'elle n'était pas revenue – une sorte de démon s'était emparé de lui. Son plus grand secret tapait contre le couvercle de la boîte où il l'avait enfermé. Violemment parfois. Il faisait mine de ne pas l'entendre en journée, pour mieux s'y adonner la nuit venue, seul dans cet appartement où plus aucune trace de celle qui avait partagé sa vie durant ces années n'apparaissaient. Ça aurait fait trois ans, s'il n'avait pas joué au con. Bientôt un an à Chartres. Bref. Toujours est-il qu'il ne ressentait aucunement la solitude, mais au contraire mettait à profit cette période de célibat pour être lui-même. Les relations avec Michel s'était largement détendues – il l'appréciait même. Ils avaient longuement échangé, lui avait expliqué sa vision du monde, des affaires et avait évoqué la direction qu'il voulait imprimer à son entreprise. Michel, désormais son unique employé, avait quant à lui exprimé ses craintes, son incapacité à suivre le rythme, avait évoqué l'humeur changeante du boss.
Il avait donc mis en place beaucoup de choses, outre son changement radical d'humeur, notamment un « partenariat », plus qu'une fusion, avec un collègue. Ils se partageaient la gestion des plus gros dossiers. Cela arrangeait tout le monde et Michel, du coup, en était devenu efficace. Il avait également appris beaucoup de choses sur lui: il avait divorcé quelques mois avant d'entrer dans la boîte suite à sa dépression et sa perte d'emploi. Ils se voyaient toujours, lui et son ex-femme, côtoyaient encore la famille et la belle-famille, ensemble, pour leur bien à tous les deux. Ils parlaient de se remettre ensemble mais ils avaient chacun un grand besoin de liberté, de vivre un temps chacun de son côté.
Pendant ce temps-là, inconsciemment, il était en train de laisser le couvercle de la boîte s'ouvrir. Le problème, avec les boîtes comme celle-ci, est qu'elles ont une fâcheuse tendance à s'ouvrir d'elles-mêmes.
Il prit une autre chemise dans sa valise, une plus ample, lui qui aimait les porter près du corps. Il changeait de chemise régulièrement avant chaque rendez-vous à l'extérieur, pour éviter les auréoles sous les aisselles et autres taches probables de nourriture ou d'encre. Il voulait toujours avoir l'air impeccable, au moins on ne lui reprocherait pas ça. Tout en enlevant son ancienne chemise encore propre, il lui vint l'idée de coincer son bras droit dans le dos. Pour être certain qu'il reste près de son corps ou qu'il ne se serve pas de son bras par mégarde, il l'enturbanna avec de l'élastoplaste.
Techniquement, c'était se faire passer pour un infirme alors qu'il était tout ce qu'il y a de plus valide. Peut-être pour gagner le contrat. Ou pas. Voir la pugnacité de l'infirme qui confronte le monde sans sourciller, à bout de bras – qui n'a ni singulier ni pluriel définis. Ou plutôt un pluriel qui va de soi: on a tous deux bras, non? Ça, ça calmait les ardeurs des plus furieux. Les gens vous écoutaient. Et puis ils étaient trois sur cette affaire.
Techniquement, c'était tricher. Mais éthiquement, il ne trichait pas, sans aucun doute par omission – omission qu'il désirait à corps et à cris.

Tuesday 22 December 2009

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes #6


« Mais pour qui tu te prends? »
Gifle en pleine tête. La question résonnait encore entre ses deux oreilles rouges de colère, mais il se reprit vite.
Deux fois qu'il l'entendait, cette putain de phrase. Bon, d'accord, la première fois c'était lui qui l'avait prononcée, clairement, distinctement, pour qu'il n'y ait aucune méprise.
« Mais pour qui tu te prends? Tu sais que j'ai juste à appuyer sur un bouton et ton siège éjectable saute. Tu es dans une team, et si t'as pas le team spirit alors tu prends la porte.
_ Écoute, j'ai pas l'habitude qu'on me parle sur ce ton, surtout un gamin qui a vingt ans de moins que moi. Alors tu vas commencer par te calmer, et me parler autrement. Je suis pas Michel. Si tu veux que tes « ordres » – et il mima les guillemets en l'air – soient obéis, tu as tout intérêt à les formuler plus clairement que ça.
_ Tu as peut-être vingt ans de boîte de plus que moi, le monde a changé mon ami. Il faut te mettre à la page et être dans l'air du temps.
_ Je t'ai dit d'arrêter de faire le dur. Tu es le patron, mais ça va pas m'empêcher de dire ce que j'ai sur le cœur. Tu diriges ton équipe comme un chef, mais tu t'en fous de savoir si on a des sentiments ou pas, des états d'âme ou pas, si on a des problèmes ou pas. Tu sais pertinemment que Michel ou moi on a pas fait les mêmes études et –
_ Je t'arrête tout de suite – il lève la main, paume vers l'extérieur – si tu veux me faire la morale. Nous sommes dans un monde de requins: si tu ne bouffes pas, tu te fais bouffer. La vie se résume à ça. Life and Death.
_ Eh! Oh! T'es plus à la bourse là, mon coco! C'est la vraie vie qui se joue! On est humains!
_ Et c'est pour ça qu'on va devoir se passer de ton humanité.
_ Ah ouais, comme ça. Tu me vires comme ça.
_ Si c'est de l'argent que tu veux, tu auras des indemnités. J'ai toujours drivé comme ça et les résultats sont toujours venus.
_ C'était pas de l'argent que je cherchais, mais un boulot sympa avec des gens sympa, dans une ambiance sympa. Qu'on me traite avec respect. Qu'on me demande des résultats ça ne me dérange pas. Mais je ne vendrais pas mon âme au diable pour ça. Bonne fin de journée. »


« Mais tu te prends pour qui? » Cette fois-ci ce fut Hélène, debout face à lui affalé sur le canapé.
« Ton père est pas vitrier.
_ Bouge ton cul de ce canapé à la con. Mais pour qui tu te prends?
_ Tu te répètes. Je me prends pour le chef de famille. Pour celui qui paye le loyer et les factures. Ça me donne un paquet de droit.
_ Chef de famille? Non mais tu planes à dix mille, mon pauvre. Y'a pas de famille ici.
_ Mouais, pour l'instant. Ça fait combien de mois maintenant?
_ Combien de mois de quoi?
_ Que t'es enceinte? »
Elle écarquilla les yeux. Il l'avait surprise et elle ne put s'empêcher de l'être. Elle n'aimait pas ces moments de faiblesse avoués. Elle se força donc à sourire, ne serait-ce que pour reprendre le dessus, en apparence.
« Je ne sais même si j'ai envie d'avoir cette conversation. Je suis loin d'être enceinte. Je sais pas si t'es au courant mais ce que tu demandes au lit, c'est loin d'être la norme. Donc je risque pas de l'être. De toute façon ça résout rien à notre affaire. Et puis non merci!
_ Ohlà! Monte pas sur tes grands chevaux, cowboy. Tu prends un autre ton avec moi. Je suis pas ton père.
_ Ne commence pas. Pas là-dessus. » Encore un coup bas. Il avait bel et bien déterré la hache de guerre. Quelle mouche le piquait? Elle connaissait ses sautes d'humeur, mais depuis quelques jours il battait des records.
« Attends, c'est toi qui viens me chercher et faudrait que je ferme ma gueule? T'as pas tiré le bon numéro. T'as un sérieux problème à régler. Tu penses que les autres sont à ta botte et que tu peux en disposer comme tu veux? No way!
_ Très belle auto-analyse. Je suis pas ton chien. Quand tu reviens du boulot, t'es soit exécrable soit tu m'adresses pas la parole. Je sais pas lequel je préfère. Soit je suis une merde, soit je suis rien.
_ Ben donne le change et réfléchis un peu, t'auras la solution toute trouvée. » Au moment même où les mots sortirent de sa bouche, il sut qu'il était allé trop loin, que, connaissant Hélène, elle ne reviendrait pas, pas après ça. Il fit un geste de la main vers elle, étonné d'être debout, de sentir son cœur cogner contre ses côtes, contre ses temps, étonné d'être aussi près d'elle et qu'elle fut déjà aussi loin. Elle n'avait pas paru surprise, cette fois. Comme un déclic, un flash au fond des pupilles. C'est tout ce qu'il avait vu. Tous ces longs mois à construire quotidiennement, avec acharnement et détermination, un couple qu'il venait de cingler avec le pire des fouets. Anéanti en quelques secondes. Ou peut-être avait-il perdu pied bien plus tôt. Comment en étaient-ils arrivés là? Pour la première fois il ne sentait pas Hélène entièrement fautive. Il devrait peut-être mettre sa dernière question au singulier.
Il l'entendit sortir la valise de dessous le lit, dans la chambre. Il ne la retiendrait pas. Ils avaient besoin de cette coupure. De toute façon elle n'était pas en état d'entendre quoi que ce soit. Elle n'en ferait qu'à sa tête, elle voudrait avoir raison et ne s'arrêterait pas à son point de vue à lui. C'est cela: elle était inarrêtable.
Il s'assit dans le canapé, regardant la télévision sans la voir. Les oreilles aux aguets. Elle sortit de la pièce sans même jeter un regard sur lui, sans dire un mot. De toute façon, elle était inarrêtable.

Monday 21 December 2009

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes #5


Enfin seul...Hélène couchée, la télé et lui en tête à tête, la télécommande dans la main gauche. Ce soir, comme parfois il fait, il plaque son bras droit contre son dos, sous le t-shirt. Puis, adossé au canapé, il ne fait rien d'autre qu'exister. Les soirs comme ceux-là, il se sent vivre. Il sent d'abord les fourmis courir le long de son biceps, puis de son triceps peu de temps après. Il faudra bien une heure avant que ces fourmillements ne parviennent dans chacune de ses phalanges et ne finissent d'anesthésier complètement son bras. Et là...

Sunday 20 December 2009

Plus de 1000 visites depuis le mois de septembre...Merci à toutes et à tous! Je sais pas vous, mais moi je m'amuse bien! A très bientôt!

More than 1,000 visits since September...Many thanks y'all! I don't know about you, but I'm having a hell of a time! See you soon!

Citation de la semaine: thème libre/ Quote of the week: free theme (Merci à Chab, Caramel, Caro et Flore!)


« Mieux vaut voyager plein d'espoir que d'arriver au but... « (proverbe japonais, encore et toujours...)


Les mots que l'on ne dit pas sont les fleurs du silence (proverbe japonais)


Est-ce l'oeuf le père de la poule ou la poule la mère de l'oeuf ? (R. Devos)


"Parler juste, c'est comme chanter juste, c'est un don. Mais ça étonne moins." Jean Piat


"L'ennui fait le fond de la vie, c'est l'ennui qui a inventé les jeux, les distractions, les romans et l'amour." Miguel de Unamuno


"Si tout homme avait la possibilité d'assassiner clandestinement et à distance, l'humanité disparaîtrait en quelques minutes." (Milan Kundera)


"L'essentiel ne l'est pas toujours, mais provisoirement" Iris Murdoch, in Under The Net


Philosopher, c'est apprendre à mourir (Cicéron)


"Avant d'aller te messer, viens faire la grande moucherie !" (ma Grand-Mère, Surcouf du langage!)


"Ever tried. Ever failed. No matter. Try Again. Fail again. Fail better." Samuel Beckett


"Je considère l'amour comme l'unique attitude digne de la vie de l'homme." (Salvador Dali)


Les massifs d'orties servent de cicatrices (Guillevic)


«Je n’ai pas échoué [à fabriquer l'ampoule]. J’ai simplement trouvé 10.000 solutions qui ne fonctionnent pas.» Thomas Edison


Dieu n'est pas à la hauteur. Il n'est même pas dans le bottin. (Tristan Tzara)


Noël célèbre la naissance de Jésus Christ, fils de Dieu, venu sur terre pour effacer les péchés du monde, mais il avait oublé sa gomme. (P. Desproges)

Entre l'homme qui se fait comprendre et celui qui ne le fait pas, il y a un abîme de différence. Le premier sauve sa vie... (Primo Levi)


Gardez-nous la révolte, l'éclair, l'accord illusoire, un rire pour le trophée glissé des mains. Gardez-nous la primevère et le destin (René Char)


« Constant development is the law of life, and a man who always tries to maintain his dogmas in order to appear consistent drives himself into a false position. » (Gandhi)


« I do not fear to be alone, or to be spurned for another or to leave whatever I have to leave. And I am not afraid to make a mistake, even a great mistake, a lifelong mistake, and perhaps as long as eternity too. » (James Joyce, A Portrait of the Artist as a Young Man)

Game of the week: animalistic exquisite corpse (Thanks to Caramel!)


It was raining cats and dogs this morning, but he knew he had to do it. There was no other choice but to go there. Wearing his green wellies and a black mac, Mr. Nice rushed to the overflowing pond with a bucket to rescue his scarlet koi carps. Mr Nice had bees in his bonnet: he knew perfectly well what dwelt near the pond. How to avoid it was another matter. As he approached, he saw a shadow lurking by the nearby tree. He felt like a sitting duck: he had to act and quickly. He ignored the goosebumps riddling his skin and ran for it. He dived and cupped both his hands on the shadow. He had it! He opened his hands and saw an unusual fox, white of coat & red of socks! Mr. Nice was speechless! The fox explained that the carps had switched his colours when he had tried to catch one of the magical carps! Mr. Nice gave the fox a bear hug and took him home. "Something must be done to obviate the injury," he thought. So back home he cut herbs, brewed them and then dried the decoction which turned into a horse pill. The effect was to be known after a whole day. The fox looked as snug as a bug in a rug sitting there on his Chesterfield sofa in front of the fire. So Mr. Nice decided to act. He thought there was more than one way to paint a fox. But it was a horse of another colour. As cool as a cucumber, he proceeded to the pond in the hopes of reasoning with the carps but they were known to be as clever as a cartload of monkeys. Catspaws riddled the surface of the pond under a slight breeze. The carps were huddled together, thick as thieves, nonchalantly gulping air. "Did you or did you not monkey with the fox?" Mr. Nice asked them, in an equally nonchalant manner. They were as meek as lambs: "We didn't do anything," cried they with one voice. "Don't try to pull the wool over my eyes! Confess!" roared Mr Nice. The carps were lying through their teeth. "I cant stand here rabbiting with you all day!" exclaimed Mr. Nice. So he went to buy some truth serum at the local CIA retail store. Back to the pond, the carps were going ape. "No! No! No! Don't do that!" He emptied the whole bottle, smirking. "So now... Trapped as a bird in a cage! Speak the truth or die, no, lie forever!" blurted out Mr. Nice. Who was no longer nice. He was ready to tackle the bull by the horns. The carps, seeing this, surrendered and said: "Yes, we did it!Some of us had a whale of a time tormenting him after years of listening to his arctic tales. But most of us wanted to summon the snow!" And that is the end of the cock and bull story.

Jeu de la semaine: Cadavre exquis au goût de poisson (Merci à Caro!)


Il se sentait comme un poisson dans l'eau, sur cette plage déserte, malgré le récent naufrage du bateau de croisière. Il allait devoir apprendre à vivre sans filet. Cette perspective lui était finalement assez réjouissante. Il vivait de baies sauvages, regardait des couchers de soleil magnifiques sous son abri de fortune, une vieille plaque de tôle à la peinture écaillée. Et cette étendue, de sable et de temps infinis. Un bonheur brut, une égoïste retraite tant convoitée. Que de péchés pour en arriver là ! Naufrage du bateau, tout le monde mort sauf lui...il n'avait plus qu'à buller en attendant les secours qui mettraient des semaines avant d'arriver! Tuer le temps... Écrire... Mais avec sa mémoire de poisson rouge, il ne savait même plus comment on fabriquait du papier à base d'écorce de palmier... Il se prit donc à gratter l'intérieur de l'écorce avec l'arête d'une pierre tranchante, inventant du même coup un nouvel alphabet. Cela lui permettrait peut-être de faire de sa vie de requin de la finance un nouveau conte de fée... Mais il y avait baleine sous gravillon. Parfois comme un ronronnement vibrait dans l'air paradisiaque de l'île. Il devait tirer ça au clair. Comme le vent dans les voiles, il furetait, cherchait à appâter ces idées qui lui trottaient dans la tête. Il avait une bonne ouïe, mais il n'était pas certain que le bourdonnement vienne du "dehors". Assis sur ce banc, face à la mer et à son fils Éole, l'heure du bilan semblait avoir sonné. Une vie à l'horizon se pâmait d'incertitudes. Une certaine mélancolie semblait l'envahir. Rien ne servait de tourner comme dans un bocal mais il ne pouvait s'en empêcher. Il devait agir, et vite. Pourquoi agir d'ailleurs ? Quelques gouttes de raison, un rêve en papillote, un zeste de folie... et un territoire infini de pensée, quel festin! Une idée semblait surnager dans cette soupe: rester. Il n'était pas né pour vivre dans une boîte à sardine en ville. Il avait l'espace, le temps. Il avait enfin le choix, de frayer ou non, au fond de ses pensées. Pas de contraintes et pas d'à priori... un avant-goût de paradis. Soudain, il vit au loin le panache de fumée d'un navire. Il n'allait pas mordre à l'hameçon. Il prit ses jambes à son cou et s'enfuit dans la jungle. Les mailles du filet commençaient à se rompre... et c'était tant mieux! Mais voilà, il allait tout de même falloir survivre. Il devrait se prémunir des navires de passage pour ne pas se faire harponner en plein bonheur, et aussi assurer sa survie. Le tour de l'île il fit et se nourrit en chemin de trois exquises et juteuses papayes. Quelle joie de penser à la tête de merlans frits de ses collègues, ces zombis de la finance s'ils le voyaient à cet instant, la bouche gavée de papaye, le cheveu long et la barbe rêche, ils en seraient médusés! Et sa deuxième femme, cette morue qui ne pensait qu'à la pension alimentaire de son inculte rejeton... il ne put retenir un sourire de contentement... car il n'accosterait plus jamais dans ce port-là. Ni dans aucun autre d'ailleurs... Il se sentait désormais si léger qu'aucun plomb ne pourrait jamais plus lester cette solitude enfin retrouvée.

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes #4


Aujourd'hui, il n'était ni en avance, ni en retard. Il ne fit ni ses ablutions, ni un geste envers celle qui ne partageait pas que sa couche. Il ne vit pas les parures vermillons de l'horizon, ni ce disque rougeoyant qui se dévoilait minute après minute; pourtant, il ne se pressa pas. Il ne prêta aucune attention au vol d'oies sauvages qui coupa un ciel sans nuages. Il ne conduisit ni prudemment, ni imprudemment. Il ne se gara pas à sa place habituelle. Il ne dit mot à ses deux collègues qui ne s'y feraient jamais. Il ne parla point et pourtant il ne fit pas que son travail ce matin-là. Les yeux absents, dans le vague d'un rapport parfois, il ne se déconcentra pas, ni n'arriva à se connecter à ce qu'il faisait.
Aujourd'hui, il ne remarqua pas la demoiselle qui papillonna des paupières en lui tendant son ticket de caisse, n'espérant pas qu'un regard, qu'un sourire, qu'un au-revoir appuyé, reconnaissant. Il ne se dépêcha en rien. Il ne dégusta pas son sandwich bio, ni même sa salade de fruits d'été bio. Il n'arriva pas à satiété. L'eau qu'il but ne le désaltéra pas. Il ne téléphona pas à son amie, ni ne décrocha lorsqu'elle ne put faire autrement que de l'appeler. Il ne resta pas au bureau pour déjeuner.
Aujourd'hui n'était pas un autre jour, n'était pas un jour dans les règles de l'art. Il ne semblait plus y avoir de règles d'ailleurs. Il n'était ni maussade ni enjoué. Il n'avait goût à rien mais ne détestait pas son métier, bien au contraire. Il n'avait pas l'impression qu'aujourd'hui était un jour sans. Il ne s'emporta pas contre Michel qui ne le lui fit pas remarquer, mais ce dernier ne se priva pas d'en toucher deux mots à son martyr de collègue. Rien n'était une bonne ou une mauvaise nouvelle. Rien ne lui était égal. Il n'avait aucune patience mais rien ne l'énervait.
Aujourd'hui, il n'avait pas que la gueule de bois. Il n'y avait pas qu'un vide dans sa poitrine. Il n'y avait pas qu'une attente sourde, souterraine, sournoise. Pas d'autre choix que d'avancer, que de marcher vers demain. La lassitude n'était pas la seule à le malmener et il ne savait que faire de ses deux bras.
Aujourd'hui, il n'était pas prêt à affronter le monde dans cet état-là. Il lui manquait quelque chose, ou bien , il ne se l'avouait pas totalement, il avait quelque chose de trop.

Saturday 19 December 2009

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes #3

Aujourd'hui, pour changer un peu, il se brossait les dents de la main droite et s'habillait de la gauche...et justement il l'était, gauche. Il avait eu l'idée depuis peu et c'était là un bon entrainement. Peu concluant niveau temps, se dit-il néanmoins, parce qu'il devait souvent s'aider de la droite et, donc, cela ralentissait le brossage. Enfiler pantalon et chemise, ça allait. Les boutons lui donnaient du fil à retordre, et il regrettait sa maigreur et l'obligation de porter une ceinture qu'il mettrait quinze plombes à accrocher s'il ne consentait pas à s'aider de sa main droite. Nom de – encore à la traîne ce matin. Pourquoi ne pas faire comme tout le monde? Pour une simple et bonne raison que la raison n'ignorait pas, mais qu'elle ne pouvait accepter.
Ce n'est pas encore aujourd'hui qu'il sacrifierait au rituel des câlins matinaux; en plus il se souvint qu'Hélène avait un examen blanc en début d'après-midi, donc il lui faudrait toutes ses forces. Il lui laissa un petit mot d'encouragement sur la table de la cuisine, à la va-vite, au dos d'un post-it. Il y avait une ancienne liste de courses au recto. Ses yeux tombèrent machinalement sur les mots en désordre – lui qui adorait les suites de mots, de choses, de nombres – et après les tomates et le produit vaisselle se glissait, en toute fin, un « Test » griffonné lui aussi à la hâte, fébrile. Il s'arrêta net, le papier rose entre les mains. Que voulait dire ce « Test »? Test, test. Pas un test de grossesse quand même? Elle le lui aurait dit. Ils se disaient tout. Enfin – elle lui disait tout. Elle ne pourrait pas lui cacher ça, pas à lui qui lisait dans les gens comme certains lisent des livres ou des étoiles. Il avait une furieuse envie d'aller la réveiller et de la confronter, brandissant le post-it coupable sous son nez, sous ses yeux embués de sommeil. Au saut du lit personne ne peut mentir. Puis il se ravisa: et si ce « Test » n'était en fait rien, s'il se trompait? Il se targuait de connaître la psychologie féminine mieux que beaucoup d'entre elles – ayant le recul nécessaire pour être objectif – mais les relations humaines l'étonnaient parfois du fait de leur caractère imprévisible. Il n'irait donc pas la retrouver, assis sur le bord du lit, le regard accusateur ou pire, inquisiteur.
Il repensa au post-it une bonne partie de la matinée, puis les e-mails, fax, vidéo-conférences successives eurent raison de son attention.
« Michel, des nouvelles de Rexel?
_ Pas encore. J'ai juste eu un message de Daniel me disant que les pontes se réunissaient ce matin.
_ Michel, c'est justement ça que j'appelle des nouvelles. » Il considéra ne pas avoir dit cela sur un ton assez incisif, donc il crut devoir ajouter: « C'est justement à cette satanée réunion qu'ils vont décider de notre sort. » Même si le « notre » ici sonnait comme un « mon » Il avait rarement rencontré quelqu'un d'aussi niais que ce Michel, et jamais dans le monde de la finance. C'était un défaut rédhibitoire, incompatible avec la gestion du patrimoine et de l'économie d'un pays. Il soupira. Il devrait appeler l'agence de recrutement pour trouver quelqu'un d'autre. Ça l'embêtait pour plusieurs raisons, notamment parce qu'il devrait reformer une personne aux arcanes du métier, renégocier, recommencer. Et puis il y avait le côté « virer quelqu'un »: il n'aimait pas ça. Il avait beau faire partie de cette engeance plus communément nommée « requins », il détestait saintement devoir virer du personnel, même pour incompétence. Surtout pour ce motif. Le regard perdu qui dit « je suis mauvais, je ne suis pas à la hauteur »; la moue triste, déçue, qui dit « Je m'en doutais » ; les mains qui se nouent et se dénouent et qui disent, elles, « Et maintenant, je fais quoi? » Affronter tout ça le dérangeait moins lorsque c'était un FG, un « Faute Grave », mais un « Inc »...ça lui fichait le frisson de devoir ressentir cette commisération, cette gêne à devoir mettre quelqu'un sur le carreau. Il n'avait pas cette fibre darwinienne qui caparaçonnait nombre de ses anciens collègues. Il répugnait à sentir la pitié grésiller dans l'extrémité de ses doigts, marteler sa poitrine de battements de cœur sourds, puissants.
« Tu fais quoi ce week-end Jean-Luc?
_ Je vais dans la belle-famille, qui n'a de belle que le nom. Et toi?
_ Pareil! Il se pourrait même qu'on aille faire une balade après le repas, et il est probablement possible d'émettre l'hypothèse selon laquelle nous fassions une partie de belote ou de manille. Les seuls bons points du week-end: la prune dans le fond du café et le corsage de la belle-sœur qui vaut bien qu'on se tape son bourguignon trop cuit!
_ Hahaha! Tu les sors d'où tes blagues, mon Michou? »
Oui, c'est clair, d'où les sort-il ses blagues vaseuses? Un vrai beauceron. Les deux d'ailleurs, pas un pour racheter l'autre. Ces « pays-âneries » lui tapaient sur le système. Hahaha! « Pays-âneries »! Elle était bonne celle-là! Ils se retrouvèrent donc à rire tous les trois, pas pour les mêmes raisons certes, mais Michel crut qu'il avait, grâce à ce petit trait d'humour – le même depuis toujours – effacé sa bourde avec le fax de Rexel, les compteurs remis à zéro. Il rit de plus belle, en plissant les yeux et en se tapant la main sur le genou.
Le téléphone sonna. « C'est Rexel, » annonça-t-il. Plus de rire. Michel ne se demanda pas comment on pouvait passer aussi vite d'une gorge déployée à rire à cette gorge nouée et sèche, mais il sentit bien le changement physiologique. « Oui, M. Petersen, c'est moi-même. Bien, et vous-même? Pas du tout. Oui, oui. Cela va sans dire. D'accord! Bien. » Il regarda ses collègues en levant le pouce bien haut et en souriant de toutes ses dents, collègues qu'il méprisait encore, mais il fallait bien partager ça avec quelqu'un. Ce soir, il ne resterait plus rien du post-it. Une petite bribe s'était pourtant nichée toute la journée dans une anfractuosité de sa tête, pour finalement disparaître sous l'éboulis. Un chercheur d'or n'aurait pas négligé un aussi maigre filon, lui si.

Friday 18 December 2009

Haïku


Une plume d'oie dans l'air grésillant de l'été.
Bruits de cigales, odeurs de romarin, jaune de bruyère.
Demain, malgré cela, le capitole brûlera.

Thursday 17 December 2009

L'ennui


Il y a des petits tas de poussières disséminés ça et là – pour le néophyte à même le hasard – pour l'expert à des endroits stratégiques – qui devraient lui mettre la puce à l'oreille. Au lieu de cela, il marche dessus, les piétine, donne du pied dedans. Il passe le balai lorsqu'il y en a trop. Il y a aussi des craquements, mais dans les vieilles maisons, cela est normal, attendu, presque volontaire.
Et toujours il admire les poutres, les murs, puis retourne à son ennui quotidien, à ses soupirs journaliers. Le creux dans son canapé. Sa sempiternelle routine.
Et toujours il fait ce qu'il doit faire, ce qu'il dit de faire, ce qu'on lui demande de faire. Jamais ce qu'il rêve de faire, c'est impossible.
Et toujours il soupire, ramasse, ne ramasse pas, les petits tas de poussière.
Et toujours les jours longs comme des jours sans pain, où les heures passent comme des jours, où la petite aiguille semble figée, stoppée net par une main facétieuse ou rébarbative, hors du temps. Même les gouttelettes de pluie glissent lentement, quasiment sans fin, sur le carreau. Comme si, animées du désir d'éveiller le désir, elles se faisaient attendre, s'arrêtant même, s'accolant les unes aux autres, défiant la gravité comme en suspension dans l'air, pour ne continuer leur chemin que quelques instants plus tard. Pour recommencer cette rengaine, encore et encore. Et, sur la fin, pour se précipiter vers le bord en bois et y disparaître, se cacher une fois leur méfait commis – le méfait consistant à faire perdre du temps au contemplateur par un hypnotique dédale.
Et toujours le bras se fait lourd, la paupière aussi, puis la tête dont le front vient à se reposer sur la fenêtre. Le bâillement se fait plus fréquent, plus intense, invite à la méditation post-prandiale, au repos, deux ou trois par jour.
Et toujours les petits tas s'accumulent; et la nuit la veille ou le jour le sommeil n'aident en rien à ouvrir les yeux, à écouter le bruissement régulier de la vie – et les craquements qui résonnent comme de sinistres cloches d'église.
Et un jour l'ennui, non content d'avoir happé ce pauvre hère, se saisit même des poutres, même des murs, grignotés comme par des termites à l'appétit gargantuesque, et abat de ses griffes acérées et puissantes – avec cette qualité quasi magnétique – l'édifice, construit pourtant avec patience, sur la tête du malheureux dormeur qui, du coup, du jour au lendemain, en vient à mourir d'ennui.

Tuesday 15 December 2009

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes #2


Une de plus. Une journée de plus et pas une bière en vue. Pas même une mise en bière. Michel avait réussi, Dieu sait comment, à faire parvenir l'avenant au contrat. Pas par fax en tout cas. Il se demandait s'il ne donnerait pas une formation flash à son collègue sur les arcanes de cette machine du diable.
Il n'y avait plus qu'à attendre un retour de Rexel. Le premier gros contrat. Il avait encore des billes de côté, ainsi que quelques cartouches au cas où, mais ce serait vraiment une bonne opportunité pour booster la boîte. Ils avaient bossé around the clock pour joindre les deux bouts en un temps record, ça devait compter pour quelque chose, ou quelqu'un. Il drivait son équipe comme un boss. On ne pourrait pas lui faire ce reproche-là.
Il était presque neuf heures. Plus un chat sur la rocade. Il espérait qu'Hélène avait fait à manger. Il n'avait envie que de cela: arriver, les pieds sous la table, se sustenter, prendre une douche, regarder à la télé un programme qu'il savait sans cervelle mais c'est tout ce qu'il recherchait. Rire un bon coup à une blague grasse, à une tarte à la crème bien lancée. Dormir. Et recommencer le lendemain.
Toujours le volant coincé par le genou, il arrivait même à doubler les rares voitures qui trainaillaient sur la file de droite. Ces bouseux, alors, toujours à conduire à deux à l'heure, comme s'ils avaient un tracteur dans les mains. Une petite voix lui rappela qu'il avait appris à conduire sur un tracteur, les mains calleuses de son grand-père guidant les siennes, le sillon du champ pour seul guide, le bout du champ pour seul horizon. Sauf que lui s'était affranchi de la boue qui crottait ses galoches, de ces cals qui râpaient les poignées de main viriles, de cette mauvaise haleine de mauvaise bière ou de ces dents tachées de villageoise. Il était devenu un golden boy à la seule force de sa volonté et amassait des fortunes, alors que ses grands-parents avaient amassé de quoi survivre à la force éreintante du poignet, alors que ses parents vivotaient derrière un bureau dans une officine de cambrousse poussiéreuse.
Il n'y était pas retourné depuis qu'il avait amené sa petite amie, voilà presque deux ans – elle avait insisté des jours entiers, à en devenir rasoir à la fin – il se souvint y être allé dans son coupé-cabriolet BM flambant neuf qui lui avait coûté, comme on disait dans le jargon, an arm and a leg. Tout le monde avait admiré l'engin, campés les bras croisés sur la bedaine, hommes et femmes confondus. Ils avaient mangé une blanquette de veau, comme des arsouilles, et il avait honte, nom de Dieu, ça oui, la rage, la honte cuisante qui lui rougeoyait le visage encore plus que les sales bobines avinées des pochetrons accoudés au bar-tabac-PMU, le visage du tôlier couperosé comme le cul d'un porc. Ça ne lui ressemblait pas, lui qui ne buvait que des grands vins – il s'autorisait la bière parce qu'elle préparait l'ivresse – qui avait une hygiène irréprochable et surtout de grandes valeurs morales et esthétiques. Et – woaw! Belle embardée! Son genou avait glissé de dessous le volant, sûrement à cause d'un nid de poule. Route de merde. Il avait rattrapé le bolide in extremis, juste avant qu'il ne touche la rambarde de sécurité. Il en était quitte pour une belle frayeur. Le cœur battant la chamade et les deux mains tremblantes sur le volant, il s'enfonça dans la nuit, sans un mot.

Saturday 12 December 2009

Manuel quotidien de résistance acharnée à l'usage de tous ceux qui luttent parfois contre eux-mêmes #1


Il était en retard, vraiment à la bourre. Heureusement qu'il avait pris sa douche hier soir, il avait eu le nez creux. Il n'avait plus qu'à se brosser les dents, ce qu'il était en train de faire. Il allait vite, avec application, la main droite bien au fond de la poche. Il pensait qu'il allait devoir convoquer Michel pour le remettre dans les rails. Il avait quand même bien dépassé les bornes, ce crétin. Le dossier Rexel était leur top priorité et ils ne pouvaient se permettre de le laisser passer, surtout pas avec une bévue de ce calibre-là. Il n'avait pas abandonné son boulot de trader pour se faire emmerder par des cons. Exercer en conseil d'affaires et gestion du patrimoine ne payait pas autant mais c'était plus intéressant, plus diversifié. Plus humain, et c'était aussi son côté le plus gonflant, surtout avec des Michels dans le coin. Merde, il fallait aussi passer à la banque. Il se donna un grand coup de brosse à dents dans les gencives. Il cracha dans le lavabo. Ça faisait un mal de chien. Il se rinça la bouche, vérifia qu'il ne saignait pas. Les ratés étaient encore fréquents, mais il y travaillait d'arrache-pied. « Go, go go, » lui susurra sa petite voix d'ex-trader.
Amoureux ou pas, heureux de vivre ou pas, il se souvenait avoir toujours eu cette haine solide du travail presque crampée au fond de l'estomac, a lui vriller les intestins. S'il avait pu, il aurait été rentier. Ne rien glander de la journée, bouquiner, draguer, voyager. Il se voyait d'ailleurs très bien dans un transat avec un bon polar, sur le bord d'une piscine, une belle blonde à ses côtés en train de passer du monoï sur son corps de déesse, le bruit de l'océan pacifique, à quelques dizaines de mètres de là, berçant leurs oreilles. Cette vision resta agrippée dans son cerveau un certain temps, puis finit par se dissiper pour laisser place au magnifique rond-point de Paris dans la brume, embouteillée comme d'habitude le lundi matin. Il conduisait en calant le volant avec son genou et en passant les vitesses de la main gauche, la main droite agrippée à sa cuisse. Pas pratique mais mieux que rien; il conduisait mieux que la plupart de ces.... Mais bon Dieu, d'où venaient et où allaient tous ces gens? La population chartraine semblait centupler sur les axes routiers, alors qu'un rapide coup d'œil un samedi après-midi dans l'une des rues principales suffisait à se faire une opinion morose de cette ville morose. Pas de quoi fouetter un chat, encore fallait-il le trouver avant que celui-ci ne crève d'ennui.
L'ennui. Plaie indécrottablement humaine. On pouvait passer quinze heures au boulot en avalant un sandwich au-dessus d'un clavier d'ordinateur et ne pas en souffrir. À l'instant même où l'on se disait qu'on aimerait une petite bière entre collègues pour se détendre et parler d'autre chose, on se disait primo: les collègues étaient tous du coin, donc une ouverture d'esprit grande comme une porte de grange et une capacité à prolonger les silences dans les conversations aussi étendue que les champs autour de la capitale beauceronne. Secundo: trouver un endroit où les gens ne vous dévisageaient pas de la tête aux pieds et où on ne servaient pas de la pisse d'âne relevait du parcours du combattant mais il ne désespérait pas de trouver. Et tertio: c'était justement le bon point de son raisonnement, la bouée de sauvetage de cette ville: il n'y avait pas de tertio. Il reconnaissait que son constat était sévère, mais il n'était pas sans appel. Il avait suivi sa petite amie, qui reprenait ses études après un changement brutal de cap, et ils n'étaient installés que depuis six mois. Ils n'avaient pris le temps de visiter que la cathédrale et le vieux Chartres, et de faire deux trois tours dans le centre-ville. Ils avaient donc encore le temps de prendre leurs marques, lui et son amie. D'ailleurs, son téléphone entrait en transe.
« Ouais.
_ C'est moi.
_ Ouais, je sais, j'ai vu. T'as bien dormi?
_ Comme une masse. Je t'ai pas entendu partir.
_ J'étais à la bourre, j'ai pas voulu te réveiller juste pour deux secondes de câlins. Tu as cours today?
_ On a des TD toute la matinée et des CM cet aprèm. Vivement que je le passe ce foutu concours, ça commence à saouler tout le monde.
_ Tiens bon. Vous êtes des winner, vous allez tous y arriver.
_ Ben non, pas tous, juste moi! Combien de fois je t'ai dit qu'il y a un nombre de places limitées!
_ Désolé, j'étais que trader moi. J'ai pas fait d'études.
_ Très drôle. T'es où, là?
_ Le centre névralgique du secteur routier.
_ Au rond-point? Encore? T'es vraiment à la bourre! Heureusement que c'est toi le patron!
_ Très funny. Je sais pas pourquoi j'ai pas loué l'office à côté de l'appart.
_ Trop petit. Tu veux agrandir si ça marche.
_ Sauf que je sais pas si avec des branques comme Michel je vais pouvoir justifier l'investissement. Si on loupe Rexel à cause de lui, je le crucifie. Je le jure.
_ Attends un peu, si ça se trouve ça va se tasser, ton affaire. Bon, faut que j'y aille, poussin. Tu m'appelles à midi?
_ OK coral. Bye.
_ Bye qui?
_ Bye poulette.
_ Bonne journée mon poussin! » S'il détestait quelque chose encore plus que cette ville et sa brume et sa population rustre, c'était bien ces foutus surnoms. Elle en poulette couvant, et pas que du regard, son petit poussin. Il était plus vieux qu'elle de deux ans et elle ne le prenait pas au sérieux. Jamais. Pas même quand il lui avait dit être devenu trader à 23 ans ou qu'il gagnait les mauvais mois 4000 euros net et sans les bonus, pas même quand il lui avait dit monter sa boîte à Chartres pour pouvoir la suivre. En deux mois, après avoir tiré les anciennes ficelles, il avait trouvé des locaux pas trop pourris et en avant Simone! Même là elle ne l'avait pas pris au sérieux. Un carnet d'adresses épais comme un bottin en poche, la boutique n'avait pas tardé à ronronner et il s'était vite retrouvé débordé, obligé de trouver deux collaborateurs dans l'urgence. Michel et Jean-Luc, deux briscards sur le retour, qui avaient travaillé dans le secteur bancaire et des RH, mais qui avaient perdu un peu la main. Oui, s'il perdait le dossier Rexel parce que ce con de Michel n'avait pas su faire fonctionner le fax, il le crucifierait.

Sunday 6 December 2009

CItation de la semaine / Quote of the week: * les gens * * people *




Un gentleman est un monsieur qui sait jouer de la cornemuse mais qui s'en abstient (Woody Allen)



C'est ce que je fais qui m'apprend ce que je cherche (Soulages)


"On reproche aux gens de parler d'eux-mêmes, c'est pourtant le sujet qu'ils traitent le mieux". (Anatole France)


"Most people are other people. Their thoughts are someone elses' opinions, their lives a mimicry, their passions a quotation." (O. Wilde)

Definition of "Ptosis"


Anon. Ptosis: n. a person affected with an excessive liking for cheap pints of beer, also a drunk person (cf. drunkard) [Abbr. Pt. + -"osis"]


caro Ptosis : In the egyptian antiquity, he was the Osiris's cousin. He was responsible of the world of the deaths and watched souls.


By the way, a ptosis is the "drooping of the upper eyelid caused by muscle paralysis and weakness."

Le jeu des pourquois


La porte de la navette spatiale se ferma brusquement devant lui: il ne pourrait pas quitter la planète qui allait bientôt exploser.
Il ne pouvait pas remonter dans la navette: il avait laissé les clefs à l'intérieur. Il n'aurait pas dû sortir: si seulement il les avait laissés se battre! Ses deux chimpanzés, trop bruyants, se seraient mutuellement assommés l'un l'autre. Mais il en sortit un dehors. Pourquoi diable ce satané chimpanzé l'avait mordu, après 15 ans de vie commune? Mais pourquoi diable avait-il eu cette idée saugrenue de se travestir ainsi ! Belle expérience ! Il ne l'avait pas reconnu... quel idiot il faisait ! Il avait surgit trop brusquement dans la pièce où se battaient les singes revêtu de sa tenue de cosmonaute de nuit. C'était pas de sa faute s'il était frileux. La combinaison intégrale en forme de banane était la seule qui lui allait encore. Un cadeau de ses enfants Il lui avait fallu du temps avant de comprendre qu'il se passait quelque chose d'anormal: les singes avaient pourtant eu à manger avant le départ... Et lui qui ne comprenait pas pourquoi tant d'agitation! Quelle glissade! Il n'avait pu rattraper le coup! Et le voilà dehors, jaune de froid !Et voilà qu'il se retrouvait tout seul au beau milieu de la planète des singes, déguisé en banane ! Quelle truffe! Et ce gorille qui lui faisait de l'œil... Heureusement qu'il gardait toujours sur lui son pistolet anesthésiant ! et sa gourde de calva volée à un moine tibétain. Il avait atterri ici par hasard: il ne pourrait en repartir que s'il trouvait une clef, et vite. La clef, mais oui, il y en avait une dans la cage, restée ouverte, de ses chimpanzés! Il allait falloir leur faire des signes par le hublot Si seulement il avait appris le langage des singes plus rigoureusement...Ils essayaient, criant et gesticulant, de rentrer une banane dans la serrure. il va bien falloir que je leur fasse comprendre mon problème, qu'ils arrivent à ouvrir cette p.. de porte! Je ne vais pas pourrir ici tout de même ! Il faut que je leur montre une clef ou un dessin de clef... mais je n'en ai pas, bon sang ! Du sang... voilà la solution ! Il a l'impression que le sien tourne en jus de banane...sur quoi dessiner? Petit malin que je suis! Je dois bien avoir mon livre de chevet dans la poche de pyjama... mais oui! La clef des champs... quel joli titre! Le chimpanzé semblait réfléchir...s'il avait mal dessiné, tremblant, blanc comme un linge, sa blessure au bras saignant encore, il le saurait bientôt. Qu'avait-il à s'agiter encore ainsi, à courir dans tous les sens?... Hourra, la clef magnétique, la voilà ! Attention...non,non...!! C'était fragile, des choses comme ça! Croyant que la clef ne rentrait pas, il avait cru bon la graisser un peu en la fourrant dans sa narine! Le voilà maintenant à gesticuler dans son pyjama-banane à essayer de lui faire comprendre qu'une simple application sur la borne magnétique suffisait! Il ne devait lui rester qu'une poignée de secondes avant que cette planète n'explose! "Mais ouvre, bon D... de sin-" djjjjjjjjjjjjjjj La porte venait de coulisser au moment même de l'explosion... Il se demandait encore s'il était bien dans le sas ou s'il ne faisait que rêver, dans un semi-coma, assommé par l'explosion

Thursday 3 December 2009

Bienvenue à l'Institut


Hommage en bonne et due forme à l'IUFM qui ne faillit jamais à sa réputation.

L'union fait la force!
Toi, bombe le torse!
Sois fier, professeur,
Ton métier, c'est la sueur,
C'est le sang, le travail,
Le labeur! Tu construis,
Tu poses des rails,
Tu jalonnes et instruis!
Et si jamais tu doutes
Face à un système qui déboute,
Viens! Pousse la porte!
Sois le bienvenu à l'Institut!
Ici, rien n'est lettre morte!
Ici, chacun mérite sa statue!
Retrouve ton courage perdu –
La tâche n'est pas si ardue –
Reprends confiance en la vie
Car, oui! Nous sommes la vie
Ici, à l'Institut! Nous voguons
Vers un futur meilleur, nous roulons
Vers lui – à bicyclette –
A travers embûches et écueils,
Tous ensemble en rouflaquettes
En dégustant un millefeuille.
Alors oui, grâce à l'Institut,
Tu seras ce que tu as toujours voulu.

Habits

I am a man of habits I got to this conclusion because I flash-realised that I am hoping that someone, someday will see the patterns the rou...